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ALEXANDRE DUMAS FILS.

excite, amorce l’un après l’autre tous ses fidèles, qui tous d’un même élan, et sur le même ton, soupirent la même prière : « Je vous adore. » Cette fois, Paulette suffoque ; ils l’adorent, comme si c’était difficile ; ils l’adorent, comme si c’était nouveau ; ils l’adorent, tous, tous ; elle s’ennuie, avec rage. Elle est incomprise. Incomprise et ennuyée, ce sont les deux points du caractère de la femme moderne qu’a mis en lumière M. Dumas avec une impitoyable clairvoyance. C’était la conclusion nécessaire du lyrisme romantique, qu’il a dégagée d’abord, et d’où il est parti pour ses voyages à travers les joies féminines.

Diane de Lys s’ennuie. Elle n’a point d’autre raison à fournir à son amie pour excuser la première escapade, qui la pousse à un rendez-vous dans l’atelier d’un peintre. « Ne te fâche pas… Nous n’avions rien à faire ce soir ; j’ai pensé que cela nous distrairait un peu… Je m’ennuie tant ! » Je me trompe, elle en a une autre, qui est la même, et qu’elle répète à Maximilien : « Tenez, je suis contente de vous revoir, vous arrivez bien ; je m’ennuie à périr. » Elle a pris froid en naissant, elle aussi, dans cette atmosphère d’admiration officielle, qu’elle a respirée dès son premier sourire. Élevée en plein idéal, un jour elle retombe par le mariage dans la réalité. Résultat : une incomprise. Elle a épousé le comte sans enthousiasme, avec quelque curiosité d’une vie nouvelle, où elle serait adorée autrement. Le comte n’a su l’adorer que comme l’idole du jour, assez insignifiante, devant qui il s’est prosterné par bienséance. Quand il s’apercevra qu’il a affaire à une femme qui a un cœur comme les autres, il sera trop tard. L’esprit inoccupé aura lâché la bride à l’imagination ; l’amour, l’amour idéal (toujours l’idéal) donne à cette femme le vertige : consolation suprême et qui vaut qu’on lui sacrifie tout, avec frénésie. Notez que sa folie est consciente et que sa conscience est calme ; que si, forte du sentiment de son essence supérieure et de sa toute-