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LE THÉATRE D’HIER.

sonnement, que parmi les préoccupations, les agitations, les ambitions et les révolutions, on a justement négligé de développer en elle, elle s’est piquée au jeu furieusement, elle s’est lancée dans l’indépendance et l’irresponsabilité, à toute bride, sans autre règle que la divine passion, le divin illogisme, et les désirs, et les fantaisies et les caprices, qui sont tout son charme et toute sa force, comme on a, Dieu merci, pris soin de l’en convaincre. De là les inconsciences, les défaillances, les extravagances, les concupiscences, couvertes du nom magnifique d’Amour, et, au bout de tout cela, la lutte armée après l’adoration béate. C’est vous qui l’avez voulu, Georges Dandin, mon ami ; vos étonnements sont venus trop tard. Vous l’avez voulu tant et si bien, que la littérature s’en est mêlée, que vos poètes ont pris la tête du mouvement, et qu’à ce point de vue (à celui-là seulement) l’exaltation lyrique de la passion effrénée chez les romantiques a été la plus grandiose manifestation de votre ingénuité de parvenu.

La littérature s’en est donc mêlée, et l’on a pu contempler la Déesse dans l’épanouissement de son charme et la pleine assurance de sa domination. Plus sa passion était déchaînée, plus proche était-elle de l’idéal. Que dis-je ? Elle était l’idéal même, Doña Sol, ou Marie de Neubourg ; elle était tout le théâtre, et bientôt tout le roman, sans compter la critique, qui s’affinait, s’épurait, s’extasiait au contact de ces triomphantes délicatesses, de ces superbes délires de reines s’élevant d’un bond au-dessus de notre société moderne, et dans une flambée de passion parfaisant l’égalité et rapprochant les distances. Les rois n’épousaient plus les bergères ; mais les princesses se prenaient d’amour pour les bandits et les laquais, — par goût de l’indépendance et du contraste.

Alors seulement Chrysale, Dandin et Sganarelle s’émurent et songèrent. Et, piteusement, de se retrancher derrière la loi, qu’ils avaient rédigée ou apprise,