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ALEXANDRE DUMAS FILS.

certaines situations jusqu’à la crudité. Ont-ils jugé cette forme nécessaire à leur pensée ? Ou bien, sont-ils descendus jusqu’à un certain public dont ils avaient besoin ? En tout cas, est-ce pour cela qu’ils sont Aristophane et Shakespeare ?… Le livre peut dire aisément tout ce quels théâtre dirait : la scène ne pourra jamais dire tout ce que dira le livre, pas plus qu’on ne peut toujours, quand on est trois, dire tout ce qu’on peut dire , quand on est deux. Au théâtre on est toujours trois[1]. »

Il n’y a point de théorie qui tienne contre cette maxime, et un dramaturge, soucieux de vérité, qui aime son art et qui connaît son métier, ne saurait s’y méprendre. Si son goût le trahissait, il serait redressé par son expérience et contraint à proscrire sans merci les crudités à bon marché.

Dirai-je toute ma pensée ? M. Dumas, qui est sans contredit, au sens général du mot, le plus réaliste d’entre les dramatistes contemporains, n’a jamais cru que le réalisme fût un but, mais il l’a tenu pour un moyen. Sur la scène la réalité n’est pas la vérité, pas plus qu’une pièce vécue n’est nécessairement une pièce vraie, étant d’une vérité relative, individuelle, et le plus souvent dénuée d’intérêt. La Dame aux Camélias et Diane de Lys sont, de l’aveu de l’auteur, des souvenirs d’aventures personnelles. Il suffirait déjà de voir ce qu’il ajoute à la réalité, pour se rendre compte qu’il lui a fait sa part. Il arrive tous les jours que de grandes dames, de très grandes dames s’éprennent par fantaisie d’un artiste de talent. Réalité banale. L’intérêt ne naît pas de cette équipée, mais des caractères qui y sont mêlés, de la passion qui les agite, et encore, si vous le voulez, de l’idée morale qui s’en dégage, en un mot de la vérité générale, que le drame comporte. La réalité n’est que l’hypothèse de la pièce, de même que le réalisme n’en saurait être que l’accessoire, quelque chose comme le décor de la pensée, un truchement

  1. Préface de l’Étrangère.