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LE THÉATRE D’HIER.

pour les pousser à bout avec une pleine droiture. Et Weiss d’écrire :

« Vous connaissez, Monsieur, certaines situations nées de l’indifférence d’un mari et de l’oisiveté d’une femme… » — En méditant ce morceau comme il le mérite, on a le grand secret de M. Dumas et la raison pour laquelle il ne connaît point d’obstacles. Il supprime les transitions morales ; la nature n’a pas pour lui de nuances, ni le cœur humain de timidité. Où seraient dès lors les obstacles ? Tenez pour certain que, s’il avait eu à écrire la déclaration de Phèdre à Hippolyte. Phèdre dont les yeux n’eussent été facilement étonnés ni du jour ni d’autre chose, eût soupiré le résumé biographique suivant ou quelque autre fleurette analogue : « Thésée voyage, nous sommes seuls, je vous aime. » Et les fervents de M. Dumas se fussent récriés sur un style aussi énergique[1]. »


La boutade est spirituelle plus que le raisonnement n’est impeccable. Tenez pour certain pareillement que, si Corneille, et non Racine, avait traité la même scène, il l’eût déduite plutôt que filée, que l’aveu aurait sans doute été direct, fatal, et peut-être sublime, et que c’est pécher contre la logique que de condamner le système dramatique de M. Dumas au nom d’un autre diamétralement opposé. Encore une fois, c’est ici exagération de jeunesse, inexpérience aussi d’un écrivain, qui plus tard ne donnera plus dans la faute d’engager en une scène décisive et prématurée un caractère un peu vague et de contours flottants. Mais à la brusque franchise de Marcelle comparez l’audacieuse ingénuité de Lucienne dans les Idées de Mme Aubray, au « résumé biographique » d’Henriette la confession sincère de Jeannine[2] et l’héroïque aveu de Denise ; et dites si l’intempérance même de la rectitude et cette ferveur de logique n’y font pas le plus grand effet. Ces femmes ni ne s’attardent aux pudeurs obliques ni ne se dérobent par l’éloquence des soupirs ou des larmes : même droiture, même décision, mais préparée, mais enlevée

  1. J.-J. Weiss, Le théâtre et les mœurs, M. Alexandre Dumas fils, 156 sqq.
  2. Les Idées de Madame Aubray