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LE THÉATRE D’HIER.

expositions du Demi-Monde, de l’Ami des Femmes, des Idées de Mme Aubray, de Denise, et de Francillon.

Mais cette préparation générale, qui suffit à répandre la lumière sur l’ensemble, est impuissante à faire par avance entrer dans les esprits l’attente et le désir des trois ou quatre scènes, qui seront comme le moyen terme de la déduction. C’est peu d’éclairer et d’orienter le drame dès le premier acte. Il n’est pas un moment de l’action, je dis un de ceux qui décident du dénoûment, que l’auteur n’éclaire et ne ménage avec même scrupule et pareille dextérité. De là, aux ii, iii et souvent iv actes un mot, une phrase, un couplet, qui font l’office de jalons sagement espacés. C’est le tracé de la route, et l’on se retrouve. Alors, d’un geste l’auteur relie tous les fils en sa main, et les personnages s’embarquent bravement dans la scène à faire. Faut-il citer en exemple la confession de Jane dans l’Ami des Femmes, et redire de quel tact elle est insinuée, et avec quelle sagace crânerie M. Dumas s’engage dans cette impasse ? « Imbécile ! » murmure Jane. L’imbécile disparait, de Ryons demeure, et voilà le moment arrivé.

DR RYONS, (près de la cheminée)

« …Ou je suis un imbécile, moi aussi, ou nous allons voir quelque chose de curieux. »

JANE, (qui a marché fiévreuse, etc…)

Alors, c’est ça l’amour sérieux, l’amour pur, l’amour éternel ?

DE RYONS.

Mon Dieu, oui[1]. »


Souvent même, et c’est ici le cas, préparer la scène n’est rien ; la faire accepter est autrement délicat. L’auteur n’est pas de ceux qui escamotent la situation équivoque, et que le trait final, s’il est un peu « raide », effraie. Et c’est, à l’instant suprême de la crise, une adresse d’insinuations lumineuses, de réticences révélatrices, qui fait merveille. « Ah ! bonté divine, s’écrie

  1. L’Ami des Femmes.