Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
119
ÉMILE AUGIER

genres d’esprit, il lui manque précisément l’esprit d’auteur. À peine trouverait-on quelques mots deci delà, qui accusent la complaisance d’un écrivain en coquetterie avec son public. L’excès est rare, tant la verve est jaillissante. Autour d’une table de célibataires en liesse, dans la Contagion et Jean de Thommeray, il jette les confetti de la verve à pleine poignée, sans compter, de la pire et de la meilleure, en prodigue qui a observé de près ces promiscuités de la gaudriole et du plaisir. M. Poirier a une façon d’être spirituel, qui n’est pas celle de Gaston de Prestes, lequel n’a pas encore le flegme de d’Estrigaud. Ils blaguent également, mais chacun selon sa nature et dans sa condition. M. Poirier donne dans la trivialité, Gaston prend le ton gouailleur, et d’Estrigaud affecte l’ironie dédaigneuse et blasée. Ce sont nuances délicates. « Vous saurez qu’il y a plus de cervelle dans ma pantoufle que sous votre chapeau », dit le boutiquier enrichi. Amas de substantifs, mauvaise humeur. Avec quelle finesse pincée le gendre se joue, à son tour, des prétentions artistiques de son beau-père, et détaille, et distille la moquerie ! Quant à d’Estrigaud, il frappe ses maximes à son effigie, avant de les mettre en cours. « La sœur d’un ami m’est aussi sacrée que sa femme… ni plus ni moins. » Cela s’appelle n’avoir pas de style ; croyons-en Beaumarchais, qui s’y connaissait assurément, s’il n’y réussissait pas toujours.

Cet essentiel soin de la composition, cet instinct du mouvement dramatique, soutenu d’une verve impersonnelle et variée, suffisent à expliquer qu’Émile Augier n’ait jamais bronché dans les narrations ou les théories, qu’il coupe, anime, lance dans le train du théâtre, et qui reflètent en passant l’image des caractères. Je sais un récit, le plus joli du monde, qui se débite parmi les fusées du rire, qui s’interrompt, se poursuit, se reprend, se rattrape d’une bouche en l’autre, et s’achève enfin sur les lèvres de celui qui l’a