Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
103
ÉMILE AUGIER

épreuve d’une planche déjà tirée. Nous avons vu qu’Olympe Taverny était d’un dessin forcé[1], et qu’il y a des réserves à faire sur ce portrait de courtisane épousée, qui a la nostalgie de la boue. Aussi dans cette galerie d’originaux est-ce la figure qui a vieilli davantage, après qu’eut disparu la mode des rédemptions romantiques. Cette peinture de ton sur ton, de blanc sur noir, n’a pas résisté aux effets du temps. Mais Séraphine Pommeau en est l’immuable réplique. Cela ne « bouge » point, comme disent les spécialistes. Cela est saisi sur le vif, enlevé en pleine pâte, d’un pinceau vigoureux et prudent. C’est la femme d’hier, l’idole improvisée et pervertie par la fureur du luxe, dépravée à froid, la belle bête de père et mère inconnus, qui déploie à la parade des actions superbes, toute frémissante du murmure flatteur des maquignons. La tentation était grande de suivre le progrès de cette dépravation graduelle ; ce réalisme ingénu et mélodramatique a valu à d’autres des triomphes discutables. Émile Augier ne s’y est pas laissé prendre. Séraphine se révèle à nous, nette en ses contours, décidée en sa démarche, sans remords, sans fierté, sans amour, avec la ligne et l’impudeur d’un marbre où rien ne bat. Et c’est pour l’avoir prise au point précis de sa chute, où la manie du luxe dévoile cette absence de cœur, cette inconscience, cette matérielle ignorance du sens moral, que l’auteur a créé sa Célimène bourgeoise, à lui, la Célimène des petits ménages cossus, sans enfants, en commandite. « Le plaisir et le luxe sont les dieux qu’on nous prêche de parole et d’exemple : quand nous les adorons, on nous traite de monstre. Monstre, soit !… Chassez-moi donc !… Je ne suis pas embarrassée de moi. »

M. Poirier n’est pas un monstre ; j’ai peur qu’il ne soit même pas une exception. Son égoïsme est aigu,

  1. V. Ch. II. L’évolution de son théâtre, p. 14.