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LE THÉATRE D’HIER.

à paraître, assez tendres et belles pour plaire, et d’une condition qui leur ouvre toutes les portes : vous comprendrez avec quel art Émile Augier a fait la sélection de ces truchements, de ces caractères de transition, qui sont à mi-chemin entre les vertus domestiques et les élégances de haut goût, encore retenus par les préjugés de l’éducation et la droiture de l’esprit, et déjà sollicités par les parangons du positivisme sceptique et utilitaire, par les raffinés agents de l’immoralité, qui menacent l’intégrité de la famille et en sapent les traditions. Et d’une vue d’ensemble, vous découvrez la solide composition, qui relie toutes les figures de ce théâtre, qui les mêle sans désordre, les manœuvre sans artifice, sur un terrain neutre, tel que le salon cosmopolite de la haute banque, image raccourcie et condensée de notre bourgeoise féodalité.

Tous ces rôles ont un trait commun : ils valent mieux que leurs paroles, et souvent que leur conduite. Ils ont des scrupules de conscience très tenaces, dont ils se moquent plus aisément qu’ils ne s’en défont. Les femmes d’abord, qui, égarées par un coup de tête ou de fantaisie, ouvrent aux coquins les rangs des honnêtes gens, ont des regrets et des révoltes qui leur donnent droit à l’indulgence et au pardon. Il y a un abîme entre elles et Séraphine, de même qu’une barrière se dresse finalement entre André Lagarde et d’Estrigaud. L’auteur les a traitées avec quelque douceur, les abaissant juste assez pour étaler la puissance du vice, sans couper toute retraite derrière elles. Il les fait voir victimes du luxe, de la mode, de l’ennui, de la tolérance mondaine, de la morale affaissée, prêtes à succomber, déchues même ; mais il trouve jour, ou peu s’en faut, à les tirer d’erreur et les réhabiliter, ou à peu près. En vérité, c’était une mesure difficile à observer, et que la vie contemporaine, moins artiste ou moins bénévole, ne garde pas toujours. Elles forment un cortège troublant et un peu contrit, Gabrielle, Annette