Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
LE THÉATRE D’HIER.

l’insensible progrès, et ouvre, sans s’y engager davantage, une voie nouvelle à M. Édouard Pailleron[1].

Le plus souvent ses jeunes filles sont à la fois douces et résolues, avec un bon sens de famille, à qui peu de chose échappe. Elles rêvent, mais dans la vie d’ici-bas qu’elles s’emploient à fléchir à leur gré, sans fermer les yeux, ni s’abandonner à la pure fantaisie. Si l’ambition, la question d’argent ou l’effronterie viennent froisser leur rêve, elles se résignent avec courage à la réalité, parce qu’elles ont le cœur vaillant et l’esprit droit. Et cela leur donne un charme assez poétique, aussi éloigné du romantisme que du romanesque, et proche voisin de la commune vérité. Ne parlons plus des filles trop riches, dont la fortune a tué les illusions ; n’insistons pas davantage sur deux ou trois caractères pris de profil et à peine esquissés, qu’une éducation maladroite ou trop moderne a dotés d’une impertinente niaiserie. C’est, par exemple, Dorothée de la Pierre de Touche, qui épouse son cousin Conrad pour l’uniforme bleu de ciel ; Clara Jonquière, dans Jean de Thommeray, entichée de noblesse, instruite de sinoples et de merlettes, farcie de mots anglais, et qui dit du bout des dents : « Non, papa, je n’ai pas flirté » ; Blanche Fourchambault, qui se marie pour faire une fin, tout comme si elle était monsieur son frère, avec qui elle vit d’ailleurs sur le pied de franche camaraderie, dont elle reçoit toutes les confidences, et de qui elle emprunte quelques tours de blague et les vocables courants de l’argot.

La jeune fille selon le cœur d’Émile Augier n’est ni si sotte ni si délurée. Elle aime naturellement, comme le calice de la fleur s’épanouit ; elle aime de toute sa jeunesse, souvent contrariée par les exigences de la vie telle que la société l’a faite ; elle aime enfin dans

  1. Cf. surtout la Souris, qui est d’une inspiration très voisine. — V. Notre Étude d’Édouard Pailleron, IV, Les Jeunes filles.