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LE THÉATRE D’HIER.

un trait de génie, qu’elle a rencontré au fond de son cœur. Et de quoi n’est-elle pas capable, s’il s’agit d’assurer un mariage qui est mieux de son goût et qu’elle avait dès longtemps rêvé ? Lorsque Louis a reconnu son erreur, après qu’il a découvert et déjoué les menées équivoques de Me Guérin, renoncé à la main de Cécile pour demander celle de la douce Francine, au moment où il est ruiné, déshérité, chassé, elle est femme à se redresser enfin sous la menace, à juger son mari, à révéler d’un mot tous les affronts dévorés et l’endurance de cet amour maternel, qu’elle renfermait précieusement, et qui était sa dignité. Et elle se retire fière sous l’œil qui jadis la courbait d’un regard, au bras de son fils en grand uniforme, qui est tout pour elle, et sans qui tout ne lui est rien. C’est la supérieure beauté de ces passions muettes, qu’elles apparaissent dans leur splendeur, dès qu’elles cessent de se contraindre. C’est aussi un rare mérite chez un écrivain dramatique, que de deviner ces caractères et de les mettre en leur vrai jour, avec une délicatesse de sentiment et d’expression, qui les effleure sans les effaroucher. Ah ! la bonne, l’excellente bonne vieille que Mme Guérin !

Cette touche discrète est si bien dans le jeu d’Émile Augier qu’à plusieurs reprises il a esquissé des portraits d’époux, dont le cœur n’a pas une ride, et qui se reposent du sentiment de l’amour sur celui d’une douce et réciproque affection. Il se plait à peindre les crépuscules. Le marquis et la marquise de Puygiron se donnent du vous devant la compagnie, comme Oreste et Pylade, jusqu’au détour du chemin, qui les isole dans la vie, et leur permet de se tutoyer affectueusement. Le comte et la comtesse de Thommenay, plus jeunes, laissent une impression de tendresse sereine. Plus jeunes encore, Hubert et Mathilde (dans la Jeunesse), sains de cœur et d’esprit, s’abandonnent à l’amour comme à la vie, répandant autour d’eux un parfum de bonheur loyal, sans mélange, ni raffinement. Et il est vrai que