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ÉMILE AUGIER

y songe, voici qu’on y découvre encore des personnages d’une touche discrète et audacieuse en même temps, qui d’abord estompés se détachent en impétueuse saillie. Et puis, tout se mêle, laissant d’une part le souvenir de procédés classiques, de figures agréables et reposées, celui de caractères plus tranchés et d’une teinte encore douce, tandis que de tous les coins du théâtre se dressent des types hardiment campés et rudement brossés, d’une facture très moderne. Et puis types et caractères se fondent en des nuances infinies, comme dans la vie qui serait concentrée et ordonnée. En sorte que, si vous cherchez à distinguer après une étude d’ensemble les grandes créations de ce théâtre, aussitôt Poirier, Olympe Taverny, Giboyer, d’Estrigaud, maître Guérin, Saint-Agathe, Séraphine Pommeau s’emparent de votre mémoire. Puis, doucement occupent votre esprit Franz Milher de la Pierre de Touche, Philippe Huguet de la Jeunesse, André Lagarde de la Contagion, Jean de Thommeray et Bernard des Fourchambault : c’est presque la vigueur des autres, avec un charme différent, qui est une certaine abondance de cœur ingénue et facilement surprise. Mais s’il est question de cœur, de droiture, de sentiment, voici que plusieurs autres, presque tous les autres apparaissent comme dans un défilé patriarcal, les soutiens de la famille, les braves gens inoffensifs, et presque toujours victimes, jusqu’à ce qu’ils triomphent par la force même du bon sens et de la morale ; les pères dévoués, qui vivent à petit bruit, avec l’intime volupté d’être sur la terre pour le bonheur des autres, les Pommeau, les Tenancier ; les amis fidèles, qui sont un peu pères, les Spiegel, les Michel ; les bonnes mères, comme Mme Guérin, et les dignes femmes, comme la comtesse de Thommeray, sans compter les jeunes filles tendres et attristées, comme Philiberte, héroïques comme Francine Desroncerets, innocentes et désabusées comme Fernande Maréchal. Et vous réfléchissez qu’Émile