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ÉMILE AUGIER

doit astreindre à une scrupuleuse réserve sur de certains sujets, que ll’idée de patrie et de patriotisme souffre mal les défilés et parades sous les frises ; et je confesse que je sens toujours en moi monter quelque révolte au spectacle de l’uniforme et du panache étalés à la lumière crue de la rampe. Je comprends les Athéniens qui condamnaient un de leurs poètes, pour avoir renouvelé le souvenir d’une défaite en représentant la prise de Milet. Et, ceci dit à seule fin de satisfaire l’ami Chauvin qui, par ce temps de théories infernales ou de plaisanteries faciles, se cache et se recroqueville au fond de moi, j’ajoute qu’à une chute si profonde (c’est à celle de Jean que je pense), il fallait une réparation exemplaire ; que l’auteur avait mis le doigt sur une des raisons intérieures de notre malheureuse débâcle ; que pour nous la faire toucher du doigt à notre tour, il n’était rien de mieux que d’émouvoir par un tableau discret la petite fibre tant décriée, mais qui vibre encore ; et qu’après tout, ayant exposé avec force et développé avec une impitoyable rectitude d’esprit les effets de la contagion moderne, il avait peut-être le devoir, au dénoûment comme au début de la pièce, d’identifier la famille à la patrie, de faire paraître, une fois de plus, qu’elles sont solidaires, et que renier l’une mène à trahir l’autre.

Il n’est pas impossible de suivre jusqu’au bout le fil d’une même pensée dans la comédie sociale, qui a pour titre le Fils de Giboyer. À présent que nous avons atteint à l’extrême limite où s’est portée l’observation d’Émile Augier, nous comprenons qu’il se soit vivement défendu d’avoir écrit là une pièce politique, au sens courant du mot. Contre certains politiciens, à la bonne heure. « Qu’il eût été un doctrinaire politique consultant, répondait récemment M. Gréard à M. de Freycinet, cela était fait pour nous intéresser et peut-être même un peu pour nous surprendre[1]. » La remarque est

  1. Discours académique de M. O. Gréard, prononcé le 11 décembre