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LE THÉATRE D’HIER.

Augier nous révèle à présent le galop de cette fièvre à travers l’âme d’un travailleur, d’un naïf, d’un ingénieur qui rapporte d’Espagne, où il a fait merveille, une grande idée à laquelle il compte intéresser Paris, d’un barbare tout neuf sur cette aimable dépravation. Il ramène avec lui une sœur, à qui il tient lieu de père, et qu’il installe chez les Tenancier, aux côtés d Annette, chez ces vieux amis.

Donc voici un homme laborieux, intelligent, qui a passé sa jeunesse dans les écoles et sur les chantiers de Madrid, ignorant d’une certaine vie, et qui, avec la candeur des esprits sérieux, a l’habitude, quand on lui dit : il pleut, d’entendre qu’il pleut en effet. Au pays de la contagion, c’est un sauvage, un contremaître. Et de croire qu’il va mener son projet à bien, par la seule force de sa foi et de sa volonté, pour la gloire de sa patrie et l’honneur de son nom, serviteur à la vertu hotteutote ! C’est un homme à débarbouiller. « Ah ! çà, dit-il en revoyant Lucien, tout le monde s’embrasse, excepté nous, c’est injuste. » — « Dans mes bras, sur mon cœur », répond Lucien. La blague. Tenancier l’accueille, offre l’hospitalité à la jeune fille, cordialement. « Pardonnez, cher Monsieur, à ma reconnaissance de ressembler à de l’ahurissement », dit André confus. — « Bien rédigé, ami Chauvin… All right ! » repart Lucien. La blague. C’est elle qu’il rencontre partout à son abord. Il s’y fera. Tout le monde s’occupe à le former, Lucien par amitié, les amis de Lucien par intérêt. L’un en veut faire un homme civilisé ; les autres le civilisent pour en faire une dupe. Et il progresse à pas de géant, comme tous les timides qui jouent d’audace. Il y a plaisir à lui rendre la main, à le dresser en haute école, selon la méthode de Sardanapale. Après quelques exercices préalables, il est presque en forme. L’entraineur eu personne peut l’entreprendre.

D’Estrigaud, qui a perdu à la Bourse, a besoin,