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LE THÉATRE D’HIER.

fané, et mérite qu’on s’en moque pour s’en affranchir. D’où la blague.

La blague encore est une manière de pyrrhonisme reluisant et sec, à la portée d’un chacun. Elle représente le triomphe de l’esprit sur la conscience. Elle a sur la langue des moralistes l’avantage d’être plus limpide et rapide. Elle repose sur deux maximes qui se complètent réciproquement. La première est qu’il ne faut rien prendre au tragique ; la seconde, qu’il n’y a de sérieux que l’argent. Ce scepticisme a le privilège d’être simple, s’adresse à un objet précis, et comporte des applications universelles. Soumise, comme toute chose en ce monde, aux variations de la mode, la blague tantôt s’exaspère jusqu’au pessimisme, et tantôt se répand en une gaité impitoyable. Mais le fond est le même. C’est le doute provisoire, complaisant, aucunement méticuleux, et qui fléchit au temps sans la moindre obstination. Elle consiste, pour en prendre la manière en la définissant, à exalter Sardanapale, le grand incompris, ou Néron, ce dilettante méconnu, à célébrer, en joyeuse compagnie, les joies de la famille et les douceurs du foyer, à dire d’un honnête homme qu’il est un héros, de Plutarque, un parangon de la vertu des vieux âges, et de Brutus qu’il étale une âme antique avec la candeur du monde naissant. Elle est le maquillage des consciences défraîchies ou surmenées ; par excellence, article de Paris.

Or la blague opère le charme le plus irrésistible et immédiat de la contagion, avec ses airs de suprême distinction et de hauteur. Émile Augier l’a rencontrée sur son chemin dès le début de sa carrière, et il n’a cessé de la démasquer et de la combattre parle ridicule. Déjà, dans le Gendre de M. Poirier, le gentilhomme viveur, qui a trafiqué de son titre pour réparer ses brèches, blague le galon de laine et le brigadier chauvin. D’un trait l’auteur indique ce qu’il devait développer plus tard avec acharnement.