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ÉMILE AUGIER

religion, qui a son culte. Sous le péristyle séjournent les profanes, qui ne sont pas encore officiellement initiés aux mystères, et dont la foi est mal affermie. C’est la secte des pieds humides. À l’intérieur du sanctuaire règne un tumulte fanatique. Les offices ne souffrent ni le silence ni le recueillement. Les rites sont tout en gestes et vives démonstrations ; les pratiques bruyantes, les prières vociférées. Vous n’y verrez les croyants ni agenouillés ni prosternés ; ils vont et ils viennent ; ils se coudoient, se jettent un regard entendu, une parole rapide, et se bousculent autour d’hommes vêtus comme eux (la religion d’une société égalitaire),et qui semblent pourtant les prêtres de l’endroit, à la façon dont ils poussent des cris qu’ils notent sur de petits parchemins. Ce ne sont ni des pontifes, ni des flamines : on les nomme coulissiers, ou quelquefois agents de change. La langue parlée dans la corbeille, qui a remplacé le chœur, est simple, brève, incisive. Hausse, baisse, report, déport, liquidation en constituent le fond ; quelques noms propres, aisés à retenir : Rente, Consolidé anglais, Rio Tinto, mariés à des chiffres infiniment variables, en sont l’ornement. Un cadran domine rassemblée, et, marquant la succession des heures, fixe l’ouverture et la clôture des cérémonies. Ce temple a été élevé par notre siècle à la Fortune, la Grande Déesse. Sur le fronton se détachent six lettres d’or : BOURSE. Là se tient le marché de l’argent ; là se joue et se disperse la richesse sur un coup de dé, sur une nouvelle vraie ou fausse, fausse le plus souvent. Et là aussi, aux jours de grandes fêtes, alors que les courtiers se reposent et que se taisent les affaires, devrait être représentée gratuitement la meilleure partie du répertoire d’Émile Augier, comme autrefois aux peuplades de la Grèce s’ouvrait l’amphithéâtre immense et s’animaient les légendes nationales d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, en même temps que la comédie satirique d’Aristophane.

L’égalité n’est qu’un vain mot, si elle n’est pas l’éga-