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ÉMILE AUGIER

droit, s’il vous plaît ? Il n’est même pas admis à la privauté de soutenir l’honneur d’une maison, qui n’est point sienne.

MADAME BERNIER

« Chez qui sommes-nous donc ? Chez vous, ou chez moi ?

PIERRE

Dès qu’il s’agit d’honneur, chez moi.

MADAME BERNIER

Il n’y a que mes amis qui soient ici chez eux. Souvenez-vous-en, et ne le prenez pas de si haut.

PIERRE

Je le prends comme il convient.

MADAME BERNIER

À vous peut-être, mais pas à moi… En vous acceptant pour gendre, je n’ai pas entendu me donner un maître.

PIERRE

C’est un laquais qu’il vous faut ?

MADAME BERNIER

Non, mais un homme modeste, qui se rappelle ce qu’il me doit.

PIERRE

Vous avez dit un mot de trop. Madame. Puisque ma femme ne l’a pas relevé, son silence me délie envers elle, comme je l’étais déjà envers vous. C’est moi qui sors d’ici pour n’y jamais rentrer, moi à qui votre insolente fortune aura du moins enseigné le prix de l’indépendance et de la pauvreté[1]. »

Le beau du théâtre, la force vive du talent d’Émile Augier, c’est que l’observation en est si pénétrante et sincère, que lorsqu’il s’empare de la crise, on ne songe plus ni au théâtre, ni au talent, ni aux situations ; son réalisme n’est plus seulement le mensonge artiste de la vie : c’est comme la vie même qui apparaît ramassée, en pleine lumière, sans effort, sans transports ; c’est l’âme d’une époque et d’une société qui se révèle.

  1. Un Beau mariage, iii, 10.