Page:Parigot - Le Théâtre d’hier, 1893.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
LE THÉATRE D’HIER.

connu des anciens. Où est le temps du Grand Cyre et de l’Astrée ? A présent, les filles pauvres ont à peine l’espoir d’être aimées ; les riches n’en ont même pas l’illusion. A se voir recherchées à l’envi par les coureurs de dots, elles sentent tout le pouvoir qu’ont « les beaux yeux de leur cassette », et dévorent l’affront. Leurs prétendants se déclarent tout de suite ; ils ne souffrent point de remise ; ils ne veulent pas manquer leur coup. Il pousse de bonne heure à ces jolis millions une manière de scepticisme méprisant et raisonneur, qui n’est pas pour éveiller l’âme à l’amour. « Quel malheur pour une statue d’être en or et non en marbre ! Tu es un objet d’art, toi ; moi, je suis une pièce d’orfèvrerie ; je ne vaux pas ma dot ; la matière surpasse le travail ; mes petites perfections, qui m’auraient peut-être valu une place dans la maison d’un homme de goût, ne m’empêcheront pas d’aller à l’hôtel des Monnaies[1]. » Et elles y vont, au bras d’un homme qui a regardé la dot, puis la femme, ou la dot et l'âge des parents, et que cette enquête amoureuse a convaincu. Elles se marient, les unes parce qu’Émile Augier est un brave cœur, qui a rattrapé par le pan de l’habit celui qu’elles ont distingué et lui a dit de si jolies choses à l’oreille qu’on s’est laissé rapatrier ; d’autres parce qu’elles se contentent d’un chaperon, d’un associé responsable et maniable à leur gré. Celles-ci consentent à mettre en ménage leur fortune et leurs volontés, qu’elles réservent également. On dit de l’épouseur qu’il a fait un beau mariage.

Il n’a pas toujours fait un beau rêve. Car les difficultés dont la bourgeoisie a hérissé les abords du mariage, semblables aux pointes de fer dont elle protège ses potagers, aux tessons scellés dans la maçonnerie dont elle défend l’accès de ses quasi-chàteaux, ne cèdent pas à la vertu du sacrement. Dans les murs, hors des murs,

  1. Ceinture dorée, I, 3.