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LES CAPRICES DU CŒUR

fortement. Rien ne répondit à son étreinte, il n’y prit pas garde et perdu dans un abandon béat de son être réel, il laissa son esprit, engourdi par la musique, se perdre tout le temps que dura la représentation dans un espèce de nirvanah plein de bonheur.

Il ne remarqua personne dans la salle. Il était comme ivre, ivre de sentir près de lui, cette personne chère que son amour paraît des beautés réunies de toutes les femmes, cette personne unique qui incarnait à ses yeux, l’univers entier et pour qui, de gaîté de cœur, il aurait sacrifié sa vie. Il ne parla pas. Mais son âme parlait. Il suivait les péripéties d’une conversation intérieure dont il se faisait à la fois les questions et les réponses. Quelquefois, il disait une banalité et retombait dans le mutisme.

Il ne vit rien tout entier absorbé lui-même, replié sur le beau rêve que la musique berçait.

Il retourna chez lui, à pieds, la représentation finie, après avoir été reconduire Hortense chez son amie, portant la tête haute, et comme le héros d’Alphonse Karr, il lui semblait que son chef atteignait les étoiles. Des bribes d’air lui revenaient, qui faisaient un accompagnement à la chanson de l’âme, qui en lui, résonnait à lui briser la poitrine. Il était heureux, pleinement heureux, maître de l’avenir.


XVI


Comme un chat avec une souris, Hortense joua avec Lucien.

Il était trop ardent à son gré. Elle fut distante. Un peu découragé, il fut distant à son tour. Elle lui laissa entendre que tout irait mieux. De nouveau, il s’enflamma plus passionnément que jamais.

Il était au paroxysme de l’amour.


XVII


Pauline Dubois donnait une grande réception chez elle. Des invitations nombreuses avaient été lancées çà et là. Au nombre des invités était Noël et Faubert. Ce dernier, prétextant que ce n’était pas sa place, avait refusé l’invitation.

Noël au contraire, bien que cela ne l’intéressait guère de se pavaner dans les salons, accepta l’invitation, Hortense y serait. Il était jaloux et voulait être sur les lieux. Chaque fois qu’elle sortait, soit pour un thé ou pour une réunion quelconque, il était malheureux. Il avait peur des autres hommes, peur qu’elle leur accorde un peu, si peu soit-il d’attention.

Exclusif, il ne voulait pour rien au monde, qu’elle reporte même momentanément, sur un autre, l’attention qu’elle lui portait.

Vers neuf et quart, il fit son apparition chez les Dubois. Les salons étaient éclairés à profusion. Une multitude de jeunes gens, disséminés çà et là par groupes, potinaient. Noël en fit rapidement le tour d’un coup d’œil. Il aperçut Hortense. Elle était avec un autre, un inconnu pour lui. Il en reçut une commotion dans tout son être : un serrement à la gorge, un pincement au cœur.

Il présenta ses hommages à Pauline, salua quelques connaissances et s’achemina vers Hortense et lui demanda quelques minutes d’entretien, signifiant clairement à son compagnon que sa présence auprès de la jeune fille lui causait un plaisir plutôt médiocre.

Un sofa était libre dans un angle du salon. Ils s’y dirigèrent.

— Hortense, lui demanda-t-il dès qu’ils y furent installés. Que veut dire votre conduite de ces derniers temps ?

— Je ne vous comprends pas.

— Vous êtes à Montréal depuis une semaine. À peine si j’ai pu vous voir deux fois.

— Et ce n’est pas suffisant ?

— Non ! Ce n’est pas suffisant ! Je veux vous voir tous les jours.

— Et de quel droit ?

— Du droit de mon amour !

— Phrases de roman…

— Hortense…

Dans la pièce voisine, l’orchestre attaqua les premières mesures d’une valse à la mode.

Mince et fluet, dans son habit de soirée, Gilbert Voisin, le jeune homme avec qui causait Hortense l’instant d’avant, s’avança.

— Je vous demande pardon de vous déranger … M’accordez-vous cette danse, Mademoiselle ?

Avant que la jeune fille ait eu le temps de répondre, Noël lança :

— Mademoiselle Lambert est engagée avec moi pour cette danse.