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LA VIE CANADIENNE

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déjà attachées aux Uursulines et aux Hospitalières ; ses trois garçons alors encore vivant étaient fort jeunes.

Le 21 août 1655 Jean Bourdon épouse à Québec Anne Gagnier, veuve de Jean-Clément du Vault, seigneur de Monceaux. Voyons la carrière de cette seconde femme. Le 29 mars 1649, le bureau des Cent-Associés, à Paris, accorde à Anne Gagnier, veuve de Jean-Clément du Vault, la terre en seigneurie que nous appelons Jacques-Cartier, qui porta le nom de Monceaux et aussi celui de Sainte-Jeanne-de-Neuville. Mgr Tanguay dit que du Vault était chevalier de Saint-Louis, mais cet ordre n’a été créé que cinquante ans après sa mort. Ce devait être un second fils de famille portant, selon la coutume de l’époque, le titre de chevalier. L’ordre du Saint-Esprit, qui existait en 1640-50, ne se donnait qu’à de hauts personnages.

Anne Gagnier devait avoir environ trente-cinq ans en 1649 lorsqu’elle vint dans la colonie. En février 1650, elle fait les exercices religieux à Sillery ; en mars, elle fait une retraite à l’Hôtel-Dieu de Québec ; en juin, elle conduit les femmes et les enfants à la procession de la Fête-Dieu ; ce même mois, elle ensevelit un Sauvage supplicié ; puis, le 21 septembre, elle part pour la France et en revient en septembre de l’année suivante. Ce voyage paraît avoir eu pour objet le mariage de sa fille Claire-Françoise, qui était restée en France, à Denis-Joseph Ruette d’Auteuil.

Jean Bourdon mourut à Québec le 12 janvier 1668 ; il était alors procureur-général. Sa seconde femme ne lui donna point d’enfant ; elle mourut à Québec et fut inhumée le 27 juin 1698.

Pour bien comprendre la question de l’immigration des filles dans la Nouvelle-France, et le rôle qu’y joua madame Bourdon en 1668-69, il faut examiner ce qui concerne les filles envoyées de France, ou venues d’elles-mêmes avant 1669. Dans un cas comme dans l’autre le départ a été volontaire. Le mot envoyé signifie qu’il y avait parfois un système d’organisation, mais, invariablement, sous les meilleurs auspices. Les témoignages abondent sur ce chapitre. Il faudrait être obstiné pour croire aux contes inventés par la malice ou l’imagination de certains écrivains sur ce point, tel que La Hontan, par exemple.

Le Mercure français de 1639 rapporte que la fondatrice des Ursulines destinées à Québec étant allée chez Anne d’Autriche, à Saint-Germain-en-Laye, lui fit connaître son projet d’envoj’er au Canada des filles de l’Hôpital Saint-Joseph de Paris et que la reine promit de lui aider, de sorte que le 15 mai le capitaine Bontemps partait de Dieppe amenant une trentaine de ces filles avec quelques religieuses. Il n’est pas possible de supposer qu’on aurait embrigadé des coureuses de rues pour former ce contingent. Au printemps de 1654 Anne d’Autriche envoya sous la direction de la Mère Renée de la Nativité, religieuse hospitalière, quelques filles « fort honnêtes, tirées des maisons d’honneur, » raconte le Père Le Mercier, car « on n’en reçoit point d’autres dans cette nouvelle peuplade. » Là-dessus il fait l’éloge des bonnes moeurs qui régnent au Canada et il ajoute : « Dix-huit ans se sont écoulés sans que le maître des hautes-oeuvres ait fait un acte de son métier, sinon sur deux vilaines que l’on bannit après avoir été publiquement fustigées.”

A l’Hôtel-Dieu de Québec il y avait plusieurs demoiselles ; on les qualifie parfois de « filles du roi ». C’étaient, dit la Soeur Bourgeois, de jeunes personnes tombées orphelines ou malheureuses (pauvreté) en bas âge et qui étaient élevées aux frais de l’Etat à l’Hôpital Général de Paris. On s’aperçut bientôt qu’elles étaient trop délicates pour les travaux du Canada. Cet hôpital de Paris, récemment fondé, recevait spécialement les pauvres femmes. Vers 1684 on construisit la prison des femmes et filles incorrigibles ; c’est la fameuse Salpêtrière qu’il ne faut pas confondre avec l’Hôpital Général de 1654 d’où sortaient nos filles.

En 1658 les ecclésiastiques du Séminaire Saint-Sulpice de Paris exhortèrent et aidèrent de leur bourse des hommes recommandables et des filles pieuses à venir s’établir à Montréal. Il partit donc 60 hommes et 32 filles, tirées des « hospices et maisons d’honneur. » Elles furent confiées à la Soeur Bourgeois qui veilla sur elles jusqu’à leur établissement. Il y eut cette même année (1659) un envoi de 18 filles pour Québec. En 1662 et 1663 arrivent des soldats, des familles, des filles, formant un total approximatif de 800 personnes. C’était une nouveauté. Dans les instructions données au sieur Gaudais pour faire rapport sur l’état