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LA CITÉ DANS LES FERS

gris, avec en sautoir l’écharpe aux couleurs symboliques, ils s’avancent quatre par quatre, précédés du corps de clairons, et des tambours.

Les clairons sonnent, les tambours battent, les cœurs frémissent.

Ils défilent devant Bertrand, qui, droit, tout son être tendu salue de la main ceux qui sont prêts à mourir pour lui.

Boivin à côté de lui, les yeux agrandis par l’émotion, sent un frisson lui parcourir tout le corps. Pourtant, militaire par profession, il était accoutumé d’entendre l’appel du clairon, et le roulement des tambours. Mais ce soir, cette revue a une signification nouvelle.

Les zouaves défilent jusqu’au dernier et vont s’aligner en rang près de la rue Gosford.

Le porte-Drapeau demeure près de l’estrade.

À son tour la garde Papineau au costume noir, sévère, que seuls agrémentent des brandebourgs dorés, débouche dans le Champ de Mars.

… Et ce sont les gars de Saint-Henri, précédés eux aussi de leurs tambours et de leurs clairons.

Puis, arrive le 164e avec son corps de musique qui joue avec une puissance à faire éclater les cuivres la Marche Laurentienne que vient de composer un musicien de Québec, Jean-Pierre Rhéaume.

Ils passent, saluent le chef, en tournant la tête de son côté, et vont à leur tour s’aligner dans l’espace qui leur est réservé. Les drapeaux se groupent ensemble ; les corps de musique se fusionnent.

Et le défilé continue… Il en vient de toutes les parties de la ville de Ste-Cunégonde, de la Côte des Neiges, d’Outremont, de la Côte Saint-Paul, de la Pointe Saint-Charles, de partout les gardes indépendantes, viennent prêter le serment d’armes au régime nouveau.

Fusil sur l’épaule, cartouchière au côté, ils vont de leur démarche martiale grossir le nombre des défenseurs de la République. En eux passe le sentiment légitime de fierté parce qu’ils savent que par l’effort individuel, ils contribuent au succès de la Grande Cause. Demain chacun d’eux passera dans l’histoire. Cela ils le sentent instinctivement. Ils sentent qu’ils coopèrent au triomphe d’idées caressées depuis longtemps par tous les Canadiens, et qui sont, la liberté de la patrie, la rupture des tutelles, la consécration de leur nationalité.

Désormais, peut-être, grâce à eux, le mot « Canadien » dans le monde sonnera non pas comme un mot vide de sens, mais avec une signification d’héroïsme et de grandeur.

Et le défilé continue…

Le 44e traînant derrière lui, ses lourdes pièces d’artillerie… passe à son tour…

Bientôt l’espace est rempli…

La foule ne crie plus… Elle hurle… Étourdissante, la clameur plane au-dessus de la scène.

Un signal bref de Boivin qui se répète d’officiers en officiers…

Le fusil se change d’épaule, leur canon s’élève en l’air.

Les obusiers, les mitrailleuses, les lourds canons de campagne sont chargés précipitamment.

Un autre commandement…

Et une salve d’artillerie ébranle les couches d’air…

Et ce bruit, ce tonnerre, c’est quelque chose de formidable, de grandiose.

C’est le Salut à la première République Canadienne, c’est le « morituri te salutant » de milliers d’hommes en pleine vigueur et en pleine force d’âge.

Toujours droit, mais saisi d’une émotion qu’il a peine à contenir, André Bertrand s’avance à la balustrade.

Le silence s’est établi après ce salut des soldats.

Il s’appuie au rempart de pierre et d’une voix vibrante, il lance l’appel aux bonnes volontés et au courage. Il a besoin de leurs concours. Ce sont eux, tous et individuellement, les artisans de la victoire.

Et sa voix sonore et claire portait au loin. Elle avait quelque chose de surhumain, une puissance magnétique qui électrisait ceux qui l’entendaient.

— « Citoyens et soldats, clama-t-il, La République a besoin de vous. Ce qu’elle vous demande, c’est le sacrifice entier de vous-même. Êtes-vous prêts à mourir pour elle ? »

Des milliers et des milliers de poitrines, jaillit spontanément la réponse qu’il espérait.

— Oui ! oui !

— « Citoyens et soldats, continua-t-il, vous entrez de ce jour dans l’immortalité ! Des générations futures vous devront la délivrance et des générations passées monteront vers vous, un merci d’outre-tombe pour avoir été là, au jour de la Revanche.

— « Citoyens et soldats, souvenez-vous que l’Univers entier aura les yeux sur vous et que la Gloire saluera chacun de vos gestes.