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LA CITÉ DANS LES FERS

— Faites sortir le 164e régiment avec les mitrailleuses.

Barnabé s’interposa :

— Bêtise. Le 164e est gagné à Bertrand. Le 26e également, le 44e flanche à son tour.

— Très bien, murmura Williams entre ses dents, et s’adressant à son ordonnance.

— Appelez le Maire au téléphone. Je fais proclamer la loi martiale dès demain matin.

— Bêtise encore, lui répondit l’ancien chef de police. Comment allons-nous la faire observer ? Mieux vaut attendre quelques jours, lorsque nous aurons les renforts.

— Vous avez raison. Peter, vous pouvez vous retirer.

L’ordonnance obéit et Williams fit asseoir Barnabé. Il sortit une boîte de cigares et lui en offrit un.

— Quel est le résultat de vos investigations ?

— D’après moi et le rapport que me font mes hommes, toute la cause du trouble réside dans la popularité de Bertrand. Lui, disparu, tout rentre dans l’ordre.

Comme il prononçait ces paroles, André Bertrand, en coup de théâtre, apparut dans la salle.

— Bonsoir, général, fit-il ironiquement. Bonsoir, M. Barnabé. Je ne m’attendais pas à vous voir ici.

Le général se pencha, pour appuyer à sa sonnette. Bertrand qui le surveillait, braqua sur ses deux interlocuteurs le canon d’un revolver.

— Pas de faux gestes, général. D’ailleurs c’est parfaitement inutile. Toutes mes précautions sont prises… Vous me permettez de m’asseoir… et de vous demander un cigare… Pas de nervosité… Je ne serai pas très long. Voici ce qui m’amène. J’ai su par mon service de renseignements — car je suis bien renseigné moi aussi M. Barnabé — que vous aviez l’intention d’établir la loi martiale ces jours-ci. De plus vous me faites filer moi et les miens par les agents de cet individu avec qui vous semblez en bons, très bons, très excellents termes. Je tenais à vous avertir personnellement, de faire cesser ce petit manège… Quelles sont vos intentions au sujet de la proclamation de ce matin ?… N’est-ce pas que l’affichage s’est bien effectué ?

— M. Bertrand. Je n’ai aucun compte à vous rendre. Apprenez, si vous ne le savez déjà, que je suis en tête du district militaire, de Montréal, que je suis un soldat, et que j’agirai en soldat.

— Bravo ! voilà qui est bien parlé. Je vous répondrai à mon tour, qu’il n’y a plus qu’un maître à Montréal et dans la province et que c’est Moi. J’ai ouï dire qu’il se formait un complot pour me faire disparaître de la scène politique. Apprenez si vous ne le savez déjà, que pour vous emparer de Moi, il vous faudra passer sur le corps de tous les habitants de la province… Comme je veux être franc et loyal envers vous, qui n’êtes qu’une canaille, — permettez-moi de vous gratifier de ce titre après votre lâche aventure du couvent — je vous avertis de ne plus me faire filer. Vous remarquerez M. Barnabé que trois de vos hommes ne se rapporteront pas demain matin. Si vous persistez dans cette ligne de conduite, vous vous portez responsable de ce qui pourra survenir aux malheureux que vous chargez de cette triste besogne. Comme vous le voyez, général, je suis toujours armé et je sais aussi me servir de mon arme, lequel est très perfectionné et silencieux…

— Rallumez votre cigare continua-t-il après l’avoir éteint d’une balle qui alla se loger dans le mur. J’arrive au but de ma visite. Je n’aime pas à ce qu’aucune goutte de sang innocent soit versé. Nous sommes fermement décidés à aller jusqu’au bout. Notre projet d’indépendance est ancré solidement en nous… Inutile donc d’essayer de détruire notre œuvre en proclamant la loi martiale. Si vous voulez lutter, nous lutterons et jusqu’au bout. Mais pour ma part, je préfère arranger les choses à l’amiable. Un froid survenu entre les membres du Ministère à Ottawa et Moi, m’empêche de communiquer avec eux. Je me suis donc adressé à vous pour que vous leur fassiez part de mes désirs. Vous direz à nos anciens gouvernants que le plus sage pour eux dans toute cette affaire est de prendre philosophiquement leur parti de la perte des « belles provinces de l’Est ». Au moindre acte de violence nous userons de représailles et vous êtes l’un des premiers sur notre liste. À bon entendeur salut. Bonsoir général.


Comment Bertrand avait-il réussi à s’introduire d’une façon aussi imprévue dans les quartiers généraux de la Milice ?

Très audacieux, il ne lui déplaisait pas d’accomplir parfois des tours de force. Son sang-froid dans les occasions critiques ne l’abandonnait jamais, et il le mettait à contribution.

Depuis quelque temps il se savait surveillé lui et quelques membres du « Chien d’Or ». Il fit pister les pisteurs et les expédia dans les bois de la Gatineau au chantier d’un de ses adeptes qui exerçaient sur les personnes