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LA CITÉ DANS LES FERS

Les ouvriers souffraient de la faim, résultat du chômage. Des rancœurs germaient en eux qui allaient bientôt croître et se développer.

En persécutant les sœurs de Saint-Vincent de Paul, le premier ministre donnait le signal du soulèvement. Il le précipitait, il le déclenchait.

Les sœurs de Saint-Vincent de Paul avaient leur hospice dans l’est de la ville, au milieu d’une population faubourienne, laborieuse et dense.

Le bruit se répandit vite que des hommes de police, munis de mandats, dévalisaient cette maison. Chacun dans les alentours aimaient ces bonnes sœurs dont le dévouement désintéressé avait soulagé tant de misères.

Dès que les premiers meubles furent sortis au dehors et jetés dans des camions automobiles stationnant à la chaussée, la foule des curieux devint de plus en plus compacte. Elle grossissait à vue d’œil ; il en venait par toutes les rues ; il en venait de toutes catégories, des vieillards, des femmes, des enfants, des jeunes gens, des hommes d’âge mûr.

Bientôt, sur la rue Sainte-Catherine, la circulation fut obstruée.

Les hommes de police n’en continuaient pas moins leur honteuse besogne, avec un zèle digne d’une meilleure cause. Les meubles s’empilaient dans les camions. Les effets de lingerie, les ustensiles, tout ce qu’on pouvait trouver, était enlevé du couvent.

Plusieurs camions étaient chargés prêts à partir.

Dans la foule, des grondements se faisaient entendre : des menaces se proféraient.

Un ouvrier, un jeune homme de 23 ans grimpa sur une auto.

— Hé ! les gars ! on va-t-y laisser piller nos bonnes sœurs comme ça ! On est-y des canayens ou ben on en n’est-y pas !

Ces paroles firent l’effet d’une décharge électrique.

La foule se mit en mouvement. Une ruée se produisit vers les portes où l’on arrachait leur butin, de force, aux agents.

Les camions furent vidés.

Les femmes, les enfants, se mirent de la partie. Des vociférations, des hurlements se faisaient entendre.

L’affluence grossissait toujours.

De nouveaux arrivants joignaient les rangs.

Obéissant aux ordres, les policiers et les huissiers tirèrent du pistolet.

Ce fut un déchaînement de fureur. Les projectiles qui tombaient sous la main pleuvaient sur eux. De temps à autre, un homme ou une femme atteint d’une balle s’affaissait. Au lieu de calmer la foule, cela l’excitait davantage.

Groupés ensembles les agents fédéraux faisaient feu à bout portant. Les pierres volaient autour d’eux.

Le flot montait toujours.

Il ondulait, il oscillait avec un bruit de vague courroucée. Il refoulait les agents, les cernait.

Des femmes se suspendaient à leurs cheveux, et, rendues folles de colère ou d’indignation, les mordaient aux oreilles, au nez, à la joue, là où leurs dents pouvaient s’enfoncer.

Un camion se mit en marche. On sauta dedans et il s’ensuivit un corps à corps effréné.

Des chauffeurs s’étaient sauvés.

Les coups de feu continuaient de retentir, mais moins nombreux. Ils diminuaient d’intensité ; les munitions s’épuisaient.

Des agents s’étaient enfuis.

Une clameur folle, étourdissante, un hurlement de fauve enragé dominait cette orgie de combat.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La Cavalerie !

Ce mot fut vociféré à pleine gorge.

Débouchant, par une des rues transversales, les « Rough Riders » le sabre au poing entrèrent dans la mêlée. Les chevaux se cabraient, les sabres s’abattaient.

Bien que la sachant perdue, la foule continua la lutte.

Elle était armée d’une furie sacrée.

Des cavaliers, saisis par leurs bottes, étaient désarçonnés. On les désarmait : on sautait sur leurs chevaux et l’on continuait de défendre ses droits.

Et la cavalerie chargea. Les lames des sabres luisaient, sous le soleil.

De la bouche des militaires, des jurons sortaient, des « goddam » gutturaux.


Dans le couvent, les sœurs priaient. Elles récitaient le « De profundis » et imploraient la miséricorde de Dieu.

De la tristesse planait dans la modeste chapelle. Les voix étaient émues, ferventes et les accents religieux montaient dans l’air que parfumait encore un reste d’encens.

Dans les fenêtres, des vieux et des orphelins regardaient, le nez écrasé sur la vitre, le carnage de la rue. Ils se contorsionnaient