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LA CITÉ DANS LES FERS

mins de fer de l’État. Ce projet tomba à l’eau devant l’opposition d’André Bertrand, qui n’en fut pas moins accusé de conspirer dans ce but.

Enfin le 18 mars 19… le parlement fut saisi d’un nouveau projet de loi : l’imposition d’une taxe spéciale aux communautés religieuses dont les propriétés jusqu’alors avaient joui du privilège de main-morte.

Quelques députés protestèrent. Quelques-uns approchés à temps ravalèrent leurs discours.

Dans le Québec, le plus grand calme ne cessa de régner. Calme apparent qui recelait de lourdes colères.

Les nationaux voulaient donner le change aux gouvernants en leur faisant croire que la province se désintéressait d’une question pourtant si vitale.

Un caucus ministériel réunit à Ottawa les chefs du parti radical. Ils décidèrent après mûres délibérations d’en appeler au peuple.

De la sorte ils déchargeaient leur responsabilité sur le dos de l’Électorat.

Assurés du succès dans les provinces anglaises de l’Ouest et de l’Ontario, ils mettraient une fois de plus dans Québec la puissante machine radicale en branle.

Pour mieux embrouiller les cartes le ministre des finances annonça un autre projet de loi portant sur le terrain fiscal : un traité de réciprocité avec les États-Unis.

Les électeurs cultivaient encore la mémoire d’un politicien très versatile, partisan du libre échange, disparu depuis quelque vingt ans mais dont le souvenir constituait une légende, presqu’une religion.

Ce politicien par une adresse machiavélique, avait su, tout en sacrifiant plusieurs des droits de ses compatriotes, se créer une popularité unique dans les annales politiques. En exploitant le nom de Sir George Pelland, on réussira une fois encore à escamoter l’élection, et, MacEachran, le premier ministre aura, derechef, le champ libre devant lui. Le 22 mars le gouverneur général prononça la dissolution des Chambres.

La tourmente électorale commençait.


V

VOX POPULI


On aurait cru revivre les triomphes de Papineau. L’enthousiasme des beaux jours du nationalisme était revenu.

Comme la jeunesse d’alors, celle d’aujourd’hui éprouvait un sursaut d’orgueil à découvrir l’homme des circonstances, celui, qui, à une époque critique, incarne en lui les aspirations et les idéaux de la patrie.

La vaste salle du Monument National était comble dès avant huit heures. Dans les galeries les étudiants venus en groupe égayaient par des chansons, l’attente des discours.

Dans les loges, de jeunes femmes, le corsage frémissant, attendaient la minute où le verbe de l’orateur irait remuer en elles, les émotions qu’elles cherchaient.

Vers huit heures et demie, André Bertrand parut. Une acclamation le salua.

Quand il se leva pour parler après le discours du président, ce fut dans l’enceinte du Monument un tumulte ahurissant. Spontanément la foule se leva pendant que des battements de mains et de pieds, des « hourras » et des « bravos » ébranlèrent les murs comme un roulement prolongé de tonnerre.

Pâle, les deux mains appuyées à la table, l’orateur, les lèvres frissonnantes, les narines dilatées, goûtait la volupté âcre de cette ovation. Une pensée lui monta au cerveau que cette foule, dans un instant, n’aurait plus d’autre âme que la sienne, qu’il la tenait à sa merci, et qu’il lui communiquait, dès avant même que d’ouvrir la bouche, un peu de la fièvre qui le brûlait.

Le silence rétabli, André Bertrand quitta la table et s’avança au bord, tout au bord de l’estrade. Les genoux lui claquaient et sa gorge se serrait comme chaque fois qu’il avait à parler en public.

Hésitant, bafouillant, d’une voix basse, il commença son discours. L’auditoire ne devint plus qu’une seule personne morale, attentive, retenant son souffle, pour ne rien perdre de ce qu’il disait.

L’orateur continua quelques instants du même ton indécis. Puis, tout à coup, reprenant l’emprise sur ses nerfs, sans transition aucune, d’une voix sifflante comme la lanière d’un fouet qu’on fait claquer, il entra immédiatement dans le corps de son sujet : Les mots se succédaient, froids, métalliques, durs. Ils allaient au loin frappant comme d’innombrables lames d’acier qu’une armée invisible aurait lancées.

— « Que peut-on faire de cette colonie ? Un réservoir de sang comme Rome antique de ses provinces. Dans les veines anémiées de l’organisme impérial, on versera, rouge, vif, généreux, le sang canadien. Que veut-on faire de vos deniers amassés péniblement ? Des balles, des boulets, des obus, qui iront semer la mort au loin, chez des peuples dont le crime unique est de vouloir vivre libre sous le soleil libre. Que veut-