Page:Paquin, Huot, Féron, Larivière - La digue dorée, 1927.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.
25
LE ROMAN DES QUATRE

volonté, elle revenait aux beaux jours où son amour avait pris naissance, et dès lors elle oubliait aventures et cauchemar pour se laisser emporter en un ciel éblouissant.

À la dérobée Paul Durand regardait la jeune fille dont la beauté lui semblait rivaliser avec celle des anges, et il sentait son cœur brûler ardemment : car cette belle enfant, ainsi éplorée et qui lui apparaissait plus ravissante dans sa demi-inconscience, faisait sur lui un effet plus frappant que le jour où il l’avait vue pour la première fois sur la rue Mignonne. En était-il réellement amoureux ? Peut-être !…

À côté de lui, le timide Elzébert, qui à ses heures avait aussi ses audaces, comme nous venons de le voir, roulait vers la jeune fille des yeux admiratifs, des regards de jeunes amoureux, regards qu’il n’avait garde de laisser surprendre par son ami Paul Durand dont il devinait le secret.

L’auto tourna à l’angle Sainte-Catherine sur Saint-Denis après un court moment d’arrêt pour attendre, sur un geste de l’officier préposé au trafic, que la congestion eût diminué, puis, plus vive, elle monta la rue.

Paul Durand rompit le silence.

— Mademoiselle, demanda-t-il la voix tremblante, savez-vous qui sont ces gens qui vous ont séquestrée ?

La jeune fille releva ses paupières, souleva un peu sa jolie tête, sourit et répondit, tout en jetant sur Elzébert un regard de grande reconnaissance :

— Je ne les connais pas, monsieur. Je les ai vus pour la première fois hier seulement.

— Les avez-vous entendus parler entre eux ?

— Non. Ils avaient soin, lorsqu’ils parlaient en ma présence, de le faire d’une voix si basse que je ne pouvais percevoir qu’un murmure confus.

— Et vous ne savez pas davantage quel était leur dessein de vous retenir ainsi prisonnière ?

— Pas davantage. Et voilà, comme vous le pensez bien, ce qui m’intrigue au dernier point. Je me demande quel mal j’ai pu faire à ces gens, ou quel intérêt les a fait agir ainsi.

— Oh ! sourit Paul avec un air entendu, ils avaient certainement un intérêt, et mon ami Elzébert et moi le saurons avant longtemps. Il y a quelque chose de singulier qui se trame sous nos pas, hein ! Elzébert ?

— Oui, fit ce dernier pensif, quelque chose qui ressemble à un écheveau embrouillé, mais que nous débrouillerons, sacré chien ! ou bien on ne s’appelle plus de nos noms.

Et Elzébert cracha avec force par la portière, comme pour accentuer l’énergie d’une résolution soudainement prise.

L’auto s’arrêta devant la maison portant le numéro 2112.

— Nous sommes rendus ! dit en soupirant Mme Chénier.

Jeannette Chevrier parut sortir d’un rêve par le regard étonné qu’elle promena autour d’elle. Mais elle fut aussitôt reprise par la réalité de sa situation. Elle sourit tristement aux deux compères, qui ne cessaient de la contempler, et dit :

— Messieurs, j’aimerais à vous exprimer convenablement ma reconnaissance. Mon état d’esprit actuel, cependant, m’en empêche. Aussi, vous prierai-je de venir me rendre visite demain, je serai probablement tout à fait remise.

— Certainement, mademoiselle, s’empressa de répondre Paul Durand à qui cette invitation et le sourire de la jeune fille semblaient quasi une promesse, nous viendrons demain vous rendre cette visite, et peut-être alors pourrons-nous vous donner quelques éclaircissements au sujet de cette mystérieuse aventure.

Comme il achevait ces paroles, Jeannette, dont les regards examinaient encore les choses et les êtres autour d’elle, esquissa un geste de surprise et d’effroi, et en même temps ses yeux parurent se fixer avec une grande attention sur une auto qui passait doucement en descendant vers la rue Sainte-Catherine.

Paul Durand, Elzébert Mouton et Mme Chénier suivirent instinctivement le regard de la jeune fille, et tous trois purent apercevoir dans l’auto ce singulier individu à barbe noire embroussaillée et vêtu comme un bûcheron.

— C’est lui !… souffla la jeune fille en se rapprochant de sa tante et en saisissant un de ses bras qu’elle serra avec une force étonnante.

— Par le diable ! jura Paul Durand, c’est encore cet homme !… Est-ce un millionnaire déguisé que ce lourdaud qui, depuis quelques jours, semble rivé à nos trousses ? Mademoiselle, reprit-il, comme l’auto disparaissait plus loin avec son étrange voyageur, demain, je vous le jure, oui, demain je vous dirai qui est cet homme. Car cet homme nous intrigue tout autant que vous-même, et je veux savoir coûte que coûte de quoi il se mêle