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LE ROMAN DES QUATRE

la nous est absolument impossible. Nous vous en expliquerons la raison lors de votre visite. »

Elzébert Mouton
Paul Durand.


— Mais nous n’avons jamais écrit cette lettre. Ce n’est ni mon écriture, ni celle de Paul d’ailleurs.

— C’est une affreuse infamie.

— Je le sais maintenant, messieurs ; mais laissez-moi continuer mon histoire. Jeannette est partie de chez moi hier matin, vers dix heures. Elle devait être de retour pour le repas de midi. À deux heures de l’après-midi elle n’était pas encore arrivée. À quatre heures je commençai à être inquiète. J’avais remarqué depuis qu’elle est allée à Québec qu’une ombre de peur semblait planer continuellement sur son esprit. À six heures, je n’y tins plus et je vins à l’hôtel ici. Malheureusement vous étiez sortis. Je ne vous le cache pas, messieurs, je crus alors que les criminels, c’étaient vous !

— Oh ! madame…

— Je sais maintenant que je me trompais et je vous demande pardon de ma pensée. Je n’ai pas averti la police hier soir, parce que je me disais que Jeannette avait peut-être rencontré des amies. Mais les heures de la soirée se sont écoulées. Je vous ai attendus jusqu’à dix heures. Vous n’étiez pas encore de retour. Nous allons, n’est-ce pas, avertir la police ?

— Non, non, madame, dit Elzébert. J’aime mieux que nous réglions cette affaire nous-mêmes. La police peut nous faire plus de tort que de bien. Vous savez, nous en connaissons plus long que vous là-dessus. Écoutez nos conseils.

— Mais que faire ?

— Nous allons nous-mêmes conduire une petite enquête qui aboutira, je suis sûr. Sinon, nous aurons recours à une agence de détectives, une agence avec laquelle nous serons sûrs du secret absolu.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! quand je songe que Jeannette est sans doute entre les mains de bandits qui la maltraitent, en ce moment, qui lui manquent de respect peut-être !

— Ne vous désolez pas, madame, nous allons la retrouver.

Quelqu’un frappa à la porte du salon.

Elzébert cria :

— Entrez !

Le même commis que tout à l’heure pénétra dans la pièce.

— C’est encore quelqu’un qui veut vous parler, messieurs Durand et Mouton.

— Est-ce une femme ?

— Non, c’est un petit bambin.

— Faites-le entrer.

Un garçonnet bien mis, de douze ou treize ans, pénétra dans le salon et enleva poliment sa casquette.

— C’est papa qui m’envoie, dit-il.

— Oui, mais qui est ton papa, mon petit ?

— Mon papa, c’est Monsieur Albert Trudel qui travaille au Palais de Justice.

— Connais pas.

— Je le sais bien. Mais ce matin en passant sur la rue Cadieux, j’ai trouvé une lettre sur le trottoir. Il y avait sur l’enveloppe ces mots : « Qui que vous soyez qui recueillerez cette lettre, remettez-la à messieurs Durand et Mouton, 1218 rue Peel. Il y va de ma vie. Ne perdez pas une minute ! » Vite je courus montrer ça à papa, au Palais de Justice. Papa me dit de venir vous donner la lettre tout de suite. La voici !

Elzébert s’empara de la missive avec quelque chose comme de la voracité. Il l’ouvrit en un tour de mains et la lut.

— C’est bien vrai, madame, fit-il. Mademoiselle Chevrier est prisonnière.

— Mais lis donc cette lettre à voix haute que nous sachions, nous aussi, Elzébert !

Celui-ci lut alors :


« Mes amis,

« Car je crois pouvoir vous appeler mes amis, je suis tombée dans un traquenard. On m’a faite prisonnière. Pourquoi ? Je n’en sais absolument rien. Mais je souffre horriblement. Les hommes qui m’ont en leur possession sont sales, malpropres, polissons. Ils me parlent avec une grande grossièreté, et j’ai peur, une peur immense, à mon honneur. Sauvez-moi, mes bons amis, sauvez-moi ! Car je vais mourir ! Venez vite au numéro 32g de la rue Cadieux ! »

« Jeannette. »


Elzébert, Paul et la dame se précipitèrent en courant dans l’escalier. Quand ils furent dehors, Elzébert dit :

— Dans un quart d’heure, Jeannette sera libre.