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tout ce qui s’est passé en Canada jusqu’au moment où les troubles ont éclaté.

Je connais les actes et dires de vingt-cinq de mes collègues et de beaucoup de citoyens marquants, dont les uns ont souffert la mort, dont les autres ont, comme moi, vu, pour ainsi dire, leur tête mise à prix, et ont été, comme moi, traînés en exil sans procès, ou bien détenus, souvent sans accusation, toujours sans confrontation, puis élargis sans procès, quoi qu’ils provoquassent un jugement par demandes verbales ou écrites, adressées soit au dictateur ensanglanté Colborne, soit au dictateur, plus faux et non moins vindicatif, Durham. Car tous n’étaient-ils pas passibles des mêmes peines ? Ils étaient tous coupables du même crime : leurs vertus étaient chères à leurs compatriotes, odieuses à leurs oppresseurs étrangers ! Eh bien ! je mets le gouvernement anglais au défi de me démentir, quand j’affirme qu’aucun de nous n’avait préparé, voulu ou même prévu, la résistance armée. Mais le gouvernement anglais avait résolu de ravir à la province son revenu, son système représentatif ; il avait résolu de nous vouer, les uns à la mort, les autres à l’exil ; et c’est dans ce but qu’il avait proposé de proclamer la loi martiale, et de faire juger les citoyens par des cours martiales pour des actes que, quelques semaines avant, il avait reconnu ne pouvoir donner lieu à aucune accusation, fondant la nécessité de créer des tribunaux militaires sur l’impossibilité d’obtenir des arrêts de mort des tribunaux civils. Oui, encore une fois, le pouvoir exécutif a mis en œuvre, contre des hommes innocens, en vue de l’intérêt métropolitain mal entendu, des combinaisons inhumaines qu’il avait reconnu lui-même n’avoir pas le droit de se permettre : c’est de lui qu’est venue la provocation.

Aussi, parmi les acteurs de ce drame sanglant, n’y en a-t-il aucun qui se repente d’avoir tenté la résistance ; et parmi leurs concitoyens, il n’y en a pas un sur mille qui leur reproche de l’avoir fait. Seulement, il y a dans l’âme de tous un chagrin profond que cette résistance ait été malheureuse, mais en même temps un grand espoir qu’elle sera reprise et prévaudra.

Ce n’est pas que l’insurrection n’eût été légitime, mais nous avions résolu de n’y pas recourir encore. C’est ce que nos papiers saisis ont appris à un gouvernement calomniateur pour être persécuteur !

Et quand je fais cette déclaration, c’est uniquement pour rétablir la vérité historique, et nullement pour répudier la responsabilité morale de la résistance à un pouvoir insurgé contre les saint droits de l’humanité, insurgé aussi contre les droits de naissance inaliénables de sujets anglais, comme disent les jurisconsultes de la Grande-Bretagne, expressions moqueuses à l’égard des colonies et imaginées pour procurer à l’aristocratie anglaise des plaisir spartiates, celui, par exemple, de donner la chasse aux îlotes de l’Irlande, aux îlotes des Canadas, aux îlotes de la Jamaïque, aux îlotes de toutes ses possessions extérieures, toutes les fois que les serfs qui les habitent veulent cesser d’être corvéables, taillables, mortaillables à merci et miséricorde.

Je comprends, certes, la sainteté du ministère de l’historien. Bien compris, il exclut tout ce qui n’est pas la vérité. Mais telle est l’impiété de la tyrannie anglaise que, même à l’abri de son influence qui empoisonne, et de ses étreintes qui étouffent, l’historien des Canadas ne peut pas tout dire pendant l’occupation militaire de ces provinces, pillées, incendiées et décimées. Car le pouvoir s’y est livré à de telles orgies qu’il y est ivre. Dites-lui ses crimes : loin d’en sortir, il s’y plonge, et ne surnage que pour passer bientôt de la torpeur à la fureur de l’ivresse, que pour faire tomber ses coups redoublés sur le pays, où il hait partout et partout est haï. Dites-lui les noms des hommes fidèles au culte de la patrie : vous êtes un dénonciateur qui peuplez les cachots, un spectateur féroce qui tenez la main fermée pour que les chrétiens soient jetés aux bêtes.

On ne peut donc citer que des faits et des documents publics, bien connus en Amérique, ignorés, ou qui pis est, dénaturés en Europe. Le gouvernement anglais, en effet, a eu soin de mettre sous les verrous, en même temps que les éditeurs et imprimeurs, tous les caractères et presses d’imprimerie qui n’étaient pas en vente ; il a acheté tout ce qu’il n’a pas mis sous les verrous ; et pour guider sans doute le parlement impérial sur ces plans du futur gouvernement du Canada pour éclairer l’opinion publique anglaise, et, par elle, édifier le monde sur les venus des gouvernans et l’ingratitude des gouvernés, il a façonné ces matériaux bruts, hommes et