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Le même Adam Thom, trois mois avant l’arrivée de lord Durham, poussait des cris de mort contre quatre cents personnes entassées dans un local où deux cents auraient été à l’étroit. Il disait qu’un gouvernement qui ajournait l’instruction de leur procès montrait une coupable hésitation ; que s’il était possible d’imaginer que l’on voulût ravir sa proie au Doric-Club, il était assez fort pour se faire justice malgré les murs des prisons et les baïonnettes des soldats ; que le Doric-Club pouvait punir comme il avait pu protéger ; qu’il n’accordait qu’un court délai après lequel on verrait que ses avis n’étaient pas d’oiseuses menaces.

En effet, l’affreux complot conçu par cet énergumène et ses affidés prit une telle consistance, que les autorités furent obligées de fortifier les prisons par des ouvrages additionnels et de doubler les portes. Voilà le misérable que lord Durham fit asseoir à sa table et siéger dans ses conseils. Ses antécédents étaient connus du Canada tout entier.

En faisant ce choix aussi insensé que dépravé, lord Durham envoyé ostensiblement pour une mission de paix et de conciliation était-il traître à ses engagemens, ou bien n’était-ce qu’un fourbe chargé de continuer le plan commencé, l’année précédente, par le gouvernement métropolitain peut-être, par le gouvernement provincial assurément, plan qui consistait à pousser le peuple à quelques écarts pour légitimer les violences commises et faire naître un prétexte aux violences à commettre ?

Du reste, dès avant son départ d’Angleterre, le dictateur s’était si étroitement lié à la faction des vieux ennemis des Canadiens français, pour les manœuvres de son neveu, M. Edouard Ellice, son intermédiaire entre eux et lui, qu’à peine arrivé, il déboucha tout de suite avec leurs agens ceux des marchands anglais de Québec et de Montréal qui, de tout temps ont affiché une haine indestructible contre le peuple canadien et ses représentants. Ce sont eux qui, dès 1808, avaient arrêté le plan du gouvernement tyrannique dont lord Durham n’a fait qu’adopter la honteuse paternité. En 1822, ils avaient été sur le point d’en surprendre l’approbation en parlement. La résistance imprévue du vertueux sir James Mac-Intosh fit seule échouer leurs projets.

Dans cette circonstance, la démoralisation systématique du gouvernement anglais se dévoila avec plus d’impudeur et de balourdise que jamais.

Un de ses agens, le sous-secrétaire des colonies, s’écria dans la Chambre des communes : « Hâtez-vous, je vous en conjure, d’adopter ce projet de loi avant que les intéressés en aient connaissance, sinon, je vous le prédis, vous serez importunés de leurs plaintes et de leur opposition : nous sommes avertis que la grande majorité d’entre eux le repousserait. »

C’est en effet ce qui arriva l’année suivante. Le projet fut repoussé, et repoussé avec succès par la grande majorité des Canadiens. Désigné pour être porteur des protestations de mes concitoyens, je trouvai, je dois le dire, auprès d’un ministère tory, conservateur et absolutiste, un accueil bienveillant et une honnête déférence.

Le plan dont je parle est aujourd’hui plus universellement réprouvé qu’il ne l’était alors ; et cependant, lord Durham, le pair du peuple, dominé par les intrigants qui avaient trompé lord Bathurst, l’accueille avec faveur et va selon toute apparence l’imposer au ministère whig. Chose peu difficile au reste, car ce ministère, prétendu libéral, réformé et réformateur, a dans toute sa conduite envers les colonies britanniques, violé audacieusement les plus saintes lois de l’humanité.

Une jeune femme de vingt ans règne sur l’Angleterre, et c’est sous de pareils auspices que, dans les Canadas, cinq cents personnes ont été condamnées à mort par des tribunaux exceptionnels, par des cours martiales ! Ah ! j’ai besoin de croire que, pour obtenir l’approbation de leur souveraine, les ministres ont fait violence aux sentiments de pitié naturels à son sexe et à son âge ; j’ai besoin de me rappeler que la monarchie, en Angleterre, n’est qu’un instrument entre les mains des nobles, un brillant colifichet qu’à certains jours la main des charlatans fait scintiller aux yeux de la foule.

L’illégalité de l’établissement des cours martiales dans le Bas-Canada était manifeste et avait été proclamée par les juges des tribunaux civils. Mais qu’importent aux oppresseurs le droit, la légalité, la justice ? Les magistrats, coupables d’avoir rempli leur devoir avec courage et loyauté, ont été suspendus de leur fonction. Censurée en Angleterre par les ministres, cette quasi destitution a été maintenue par eux en Canada, et l’on a passé outre à l’exécution des condamnations.

Dans le Bas-Canada, douze malheureux ont subi le dernier supplice. Autant d’assassinats juridiques ! Dans le Haut-Canada le nombre de victimes s’élève à plus de trente. Mais ces barbaries, loin de consolider la domi-