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affranchir, pour secouer les influences grégaires de toute espèce.

Le monisme social rêvé par certains penseurs est une chimère. L’élément fécond dans la vie des sociétés, ce n’est pas la passivité de l’Individu, sa soumission moutonnière au principe social ; c’est au contraire sa réaction et parfois sa résistance. C’est surtout dans le monde social que la lutte est mère de tout bien ; — πόλεμος πάντωγ μήτηρ. — Si l’homme, comme l’a dit Aristote, est un animal politique, il est aussi un animal autarchique. C’est pourquoi, en dépit de ce qu’affirment les conceptions monistiques et unitaires de la société, les facultés par lesquelles l’Individu affirme sa personnelle volonté de vie jouent un rôle bienfaisant, en tout cas, essentiel et nécessaire. Nietzche a raison de voir dans un vouloir-vivre individuel le principe de toute action, de toute construction ayant même un caractère impersonnel et collectif. Les dogmatismes religieux, philosophiques et sociaux, sont-ils autre chose, malgré leur apparence d’impersonnalité, que l’expression des instincts vitaux de leur auteur ? Les penchants qu’on appelle mauvais et antisociaux, dit Nietzche, « sont des tendances essentielles à la vie. Ils sont quelque chose qui, dans l’économie générale de la vie, doit exister profondément, essentiellement, par conséquent quelque chose qui doit être renforcé si l’on veut renforcer la vie[1] ».

Faire disparaître la lutte et l’action individuelle est une illusion et une impossibilité. Il faut affirmer l’éternité de l’élément lutte, de l’élément diversité. Une société parfaitement homogène s’évanouirait dans l’insipide amorphisme grégaire. C’est par la lutte que l’Individu échappe à la mentalité grégaire et que la synergie reste avant tout, dans les âmes individuelles, liberté et énergie.


  1. Nietzche, Par delà le Bien et le Mal, § 23.