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Roberty ? Recourir à un pareil principe serait tomber en plein réalisme et mysticisme social.

On peut enfin entendre par conscience d’espèce la similitude d’intérêts, de pensées, de désirs et de croyances que présente à un moment donné une agglomération d’hommes. En ce sens, nous serions disposés à admettre cette influence. Mais il ne faut pas substantifier cette conscience sociale ni oublier qu’elle n’a de signification et d’existence que dans et par les consciences individuelles. Chaque individu reflète à sa façon les idées ambiantes et y mêle sa propre substance. Et cette part de l’individualité devient de plus en plus grande au fur et à mesure que l’évolution intellectuelle, esthétique et morale devient plus complexe et plus riche et que la mentalité grégaire fait place à la mentalité individualiste. Nietzche remarque qu’une croyance philosophique ou morale est toujours l’expression d’un tempérament individuel, la traduction des instincts vitaux froissés ou au contraire librement épanouis d’un individu.

Tant qu’un sentiment collectif ne trouve pas une conscience individuelle pour s’y refléter et s’y exprimer, il reste amorphe et ignoré de lui-même. M. Novicow, disposé pourtant à beaucoup accorder à la conscience anonyme des collectivités, reconnaît cette vérité. « Encore en 1814, dit-il, Arndt fut obligé d’exprimer catégoriquement dans des vers célèbres que la patrie de l’allemand s’étendait sur tout le territoire où résonnait la langue allemande[1]. » C’est donc que ce sentiment national sommeillait encore et qu’il ne pouvait éclore à la vie consciente qu’à la condition d’être affirmé et interprété par une conscience individuelle.

Ajoutons encore que ce qui détermine les formations sociales modernes, en particulier les formations juridiques, c’est moins l’idée de l’Espèce ou de la Société que l’idée de l’Individu.

  1. Novicow, Conscience et Volonté sociales, p. 310.