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Une conséquence de cette distinction est qu’au point de vue moral, le problème de l’antinomie de l’individu et de la société est tout autre que le problème soulevé par l’antinomie de l’individu et de l’État. Le second problème, qui est celui qu’a essayé de résoudre H. Spencer, dans son livre l’Individu contre l’État, n’est qu’un jeu d’enfant auprès du problème autrement complexe qui se pose entre l’individu et la société. Car, il peut y avoir, et il y a, en effet, des tyrannies sociales (mœurs, coutumes, opinion publique, préjugés oppressifs, esprit grégaire), comme il peut y avoir des tyrannies étataires. Et cela est si vrai que l’individu, ayant à souffrir des iniquités et tyrannies sociales, a plus d’une fois cherché dans l’intervention de l’État un remède à ses maux et en a appelé des injustices de la société à la justice supérieure de l’État. Nous ne recherchons pas, en ce moment, si ces appels de l’individu à l’autorité de l’État ont atteint leur but et dans quelle mesure. Nous ne nous interrogeons pas sur la légitimité et l’efficacité des interventions étataires ; nous ne nous demandons pas si la part de l’État doit augmenter ou diminuer avec le progrès de la civilisation. Nous ne voulons ici qu’établir une distinction nette entre les deux concepts d’État et de société. La sociologie doit tenir grand compte de cette distinction : car elle a pour objet non l’État, — objet de la politique, — mais la société. « L’abolition des privilèges et de la réglementation gouvernementale, dit M. Balicki, a mis à découvert une formation sociale indépendante qui s’abritait jusqu’alors sous l’aile tutélaire de l’État. La science ne tarda pas à relever son importance. Nous voulons parler de la société (Burgerliche Gesellschaft) dont la notion commune commence à percer à la fin du siècle passé[1]. »


  1. Balicki, L’État comme organisation coercitive de la Société.