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lutte dans la vie des sociétés[1]. Nietzche a raison de dire qu’il faut prendre « les penchants haine, envie, cupidité, esprit de domination comme des tendances essentielles à la vie, comme quelque chose qui, dans l’économie générale de la vie, doit exister profondément, essentiellement[2] ».

L’Évolution ne nous montre nullement une diminution d’égoïsme et d’antagonisme dans les rapports humains. Au contraire, la caractéristique de notre époque semble être une extrême intensification des égoïsmes collectifs, égoïsmes de races, de classes, de partis, de corporations, etc. Qu’on médite l’exemple fourni par l’égoïsme anglais dans la guerre sud-africaine.

Nous croyons que les égoïsmes de groupes n’ont jamais été plus armés qu’aujourd’hui. En admettant que les consciences individuelles se soient affinées au cours de l’évolution et soient devenues accessibles à des sentiments plus délicats et plus humains que ceux de l’humanité primitive, la conscience sociale reste aussi égoïste, aussi ambitieuse et cupide, à l’occasion, aussi tyrannique et oppressive que jamais.

On parle des vertus pacificatrices de la solidarité. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’à une solidarité croissante répond aussi une hostilité, une rivalité plus marquée de groupe à groupe ainsi qu’une dépendance plus grande de l’individu vis-à-vis du groupe. — Il ne faut pas, comme nous l’avons déjà remarqué, que ce vocable de solidarité, devenu un truisme, fasse illusion. Un économiste contemporain, M. Vilfredo Pareto, fait sur ce point d’intéressantes remarques. « Les termes, dit-il, finissent, par l’usage qu’on en fait, par perdre toute signification. Tel est par exemple le terme de « so-

  1. Simmel, Comment les formes sociales se maintiennent, sub finem.
  2. Nietzche, Par delà le Bien et le Mal, § 23.