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pour ce qu’on devrait faire apprend à se ruiner plutôt qu’à se préserver, car il faut qu’un homme qui veut faire profession d’être tout à fait bon au milieu de tant d’autres qui ne le sont pas périsse tôt ou tard. Il est donc nécessaire que le prince qui veut se maintenir apprenne le talent de ne pas être bon, pour s’en servir ou non selon que la nécessité l’exige. Tout bien considéré, telle chose qui paraît une vertu, s’il la pratiquait, le ruinerait ; et telle autre qui paraît un vice, se trouvera être la cause de sa sécurité et de son bonheur[1]. » La société qui veut avant tout se maintenir ne se reconnaît au fond aucun devoir envers l’Individu. Elle se fabrique des pédagogies destinées à faire, dans la mesure nécessaire, illusion à l’Individu.

La forme spontanée du dogmatisme social est la sagesse autoritaire et prud’hommesque de l’opinion publique, cette divinité au culte de plus en plus envahisseur. — Misonéisme et conservatisme, haine des personnes et plat respect des institutions, voilà les éléments essentiels dont elle se compose.

Nous dirons maintenant quelques mots de la loi que nous avons appelée loi d’optimisme social. Cette loi n’est qu’une forme du dogmatisme social. Le groupe social a intérêt à empêcher la propagation de toutes les doctrines de pessimisme social propres à favoriser la généralisation du mécontentement ou de la défiance à l’égard du principe social.

Il veut avec Leibnitz « qu’on ne soit pas facilement du nombre des mécontents dans la république où l’on est ». Il veut que l’on croie que tout est pour le mieux dans la meilleure des sociétés. L’individu doit être persuadé que la société lui présente la promesse d’un bonheur qui n’échappe qu’aux maladroits et aux faibles. Comme l’individu ne se range naturellement pas dans ces deux catégories, il s’élancera vers l’ac-

  1. Machiavel, Le Prince, ch. xv.