Page:Paine - Théorie et pratique des droits de l homme (1793).djvu/169

Cette page a été validée par deux contributeurs.
(166)

clairs & uniformes, s’il étoit impossible de leur résister, tout autre législateur seroit inutile. Les choses n’étant point ainsi, l’homme sent qu’il est nécessaire de céder une partie de sa propriété pour s’assurer la jouissance du reste ; & cette résolution est le fruit de la même prudence qui, de deux maux, l’engage à choisir le moindre. Ainsi, la sûreté étant le véritable objet du gouvernement, il s’ensuit nécessairement que le mode de gouvernement, préférable à tout autre, est celui qui nous la garantit avec le moins de frais & le plus davantage.

Pour avoir une idée juste & lumineuse de l’objet du gouvernement, supposons un petit nombre d’hommes établis dans un coin isolé de la terre, sans aucune relation avec le reste de leurs semblables, nous aurons l’image précise de la situation primitive des peuples. Dans cet état de liberté naturelle, les premières pensées se tourneront vers la société ; mille motifs leur feront prendre cette direction. La force de l’homme est si peu proportionnée à ses besoins, la nature l’a si peu fait pour une solitude continuelle, qu’il est bientôt forcé d’avoir recours à l’appui d’un autre qui, à son tour, implore le sien. Quatre ou cinq individus réunis pourront élever dans un désert une habitation supportable, tandis que, seul, un homme travailleroit toute sa vie sans rien finir. Il a coupé le bois dont il a besoin, mais il ne peut le changer de place ; s’il est venu à bout de le transporter, il ne peut le faire tenir debout ; & pendant qu’il est ainsi occupé, la faim le tourmente, une multitude de besoins différens l’appellent chacun de leur côté. La maladie, même un léger revers sont pour lui des accidens mortels. Car l’un ou l’autre, dussent-ils ne pas le conduire au tombeau, le mettroient hors d’état de trouver sa sub-