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je me presserai contre son cœur et je pleurerai. Mais… si je me trompais ?… s’il ne m’aimait point ?… Quelle idée terrible ! Mes larmes se mirent à couler et je me jetai à genoux ; puis de nouveau tout se calma et l’espoir reparut dans mon cœur. Je décidai que le jour de mon anniversaire je ferais une belle toilette, que je lui confierais tout, et que je serais sa fiancée ce même jour. Comment cela devait-il arriver ? Je ne le savais pas, mais dès cet instant je m’en crus certaine.


IV

Maria a épousé Serge depuis plusieurs mois. Ils vivent maintenant dans sa campagne à lui. L’inactivité de son existence l’énerve peu à peu ; elle s’ennuie. Puis, en dépit de l’amour profond qu’elle a voué à son mari, elle sent d’instinct que son cœur recèle un autre sentiment qui veut déborder, et elle ne s’avoue pas, ou n’a pas encore démêlé, que c’est le germe de l’amour maternel. Elle s’imagine que dans le monde elle va trouver à satisfaire son besoin d’activité physique et apaiser sa Vague, mais poignante inquiétude morale. Elle veut aller à Pétersbourg. Lui, qui sait ce que valent la cour et la ville, ne cède qu’à la dernière extrémité. Ce sont les premiers nuages dans leur ciel.

J’étais heureuse ; il me semblait que tout ce qui était devait être, et que tout le monde était comme nous. Cependant j’avais souvent comme une idée vague qu’il devait exister quelque part un autre bonheur, pas plus grand peut-être, mais différent, et je devenais pensive. Ainsi que je l’ai dit, deux mois se passèrent de la sorte ; l’hiver arriva avec ses bises glacées et ses bourrasques, et quoique mon mari fût auprès de moi, je commençai à ressentir comme le sentiment de la solitude. Je crus m’apercevoir que la vie se répète, mais ne