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potelées, rinçait les tasses et les essuyait avec une serviette posée sur son bras. Lasse d’attendre et venant de prendre un bain, j’avais si grand’faim que j’avalai de l’épaisse crème et du pain. J’étais en blouse avec des manches ouvertes, et mes cheveux humides étaient enserrés d’un fichu. Ce fut Katia qui aperçut la première Serge Mikhaïlitch.

« Le voilà, s’écria-t-elle avec joie. Savez-vous que nous venons justement de parler de vous ? »

Je me levai d’un bond, toute confuse, afin d’aller me rhabiller. Mais lui me barra le passage.

« On ne fait pas de cérémonies à la campagne, et avec un vieil ami surtout, dit-il en regardant ma coiffure avec un sourire. Vous ne vous gênez pas avec Grégorii, n’est-ce pas ? Eh bien, moi, ne suis-je pas aussi un Grégorii pour vous ?… »

Mais malgré ses paroles, je crus remarquer qu’il me regardait tout à fait autrement que Grégorii, et j’étais mal à mon aise.

« Je vais revenir à l’instant même, dis-je en courant vers ma chambre. Comme il m’a regardée drôlement ! pensais-je. Enfin, Dieu merci, il est revenu ; de nouveau la vie sera plus gaie », et après avoir lancé un dernier coup d’œil à mon miroir, je redescendis tout essoufflée. Il parlait de nos affaires à Katia. « Tout était, disait-il, dans le meilleur état du monde. Il nous fallait, selon son avis, passer l’été à la campagne, puis vers l’automne aller à Pétersbourg ou à l’étranger.

— Vous devriez venir avec nous à l’étranger, fit Katia, car si nous entreprenions seules un pareil voyage, nous nous croirions perdues comme dans une forêt.

— Oh ! j’irais volontiers avec vous au bout du monde »,