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à sa femme : « Eh bien, est-il arrivé ? — Pas encore », répond-t-elle. Il entend une voiture s’arrêter devant le perron. Cette fois ce ne peut être que lui… Non, la voiture est repartie… « Nikolaievna ! Eh bien, toujours personne ? — Personne. » Et il reste sur son lit sans pouvoir se lever, et dans l’attente de celui qui doit venir, attente anxieuse et douce en même temps. Soudain, la joie l’inonde : voici l’attendu, mais ce n’est plus Ivan Matvéitch, l’ispravnik, c’est un autre. Et cet autre vient et l’appelle, et cet autre est celui-là même qui lui ordonne de se coucher sur Nikita. Et Vassili Andréitch est radieux que cet autre soit venu le chercher.

« J’y vais ! » cria-t-il.

Et ce cri le réveilla.

Et il se réveilla tout autre qu’il n’était en s’endormant. Il voulut se lever, mais il ne le put, et ce fut pareillement en vain qu’il s’efforça tour à tour de déplacer les bras, de remuer les jambes, de tourner la tête. Il s’en étonna, et n’en ressentit nul chagrin. Puis il comprit que c’était la mort, et ne s’en trouva pas non plus autrement peiné.

Il se rappela que Nikita était sous lui, et que c’était lui, Vassili Andréitch, qui avait réchauffé et ranimé Nikita. Il prêta l’oreille et entendit la respiration de son domestique, et même un faible ronflement.

« Il est vivant, se dit-il triomphant, je revis donc en lui !… »

Et il ne vit, n’entendit, ne sentit plus rien de ce monde.