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de coton ». « Encore un qui nous apporte du bon vent », disent-ils ; et, quand le grain fond sur nous : « Vente donc, vieux bon Dieu, décorne les bœufs, plus fort, plus fort encore ; nous sommes prêts à te recevoir ; vent arrière fait la mer belle. » On est prêt, en effet, les haubans et les galhaubans du mât de misaine, — celui qui travaille le plus par le vent arrière —, ont été ridés au départ ; on a préparé des « pataras », espèce de galhaubans supplémentaires et mobiles, dont on se sert pour soutenir temporairement les parties de la mâture qui ont le plus à souffrir quand on force de toile. Et puis on manœuvre avec un cœur et un entrain parfaits. Les passagers, qui étouffent dans la cale, sont toujours sur le pont et tirent sur les manœuvres avec les matelots. Tout s’accomplit magiquement. La gaieté est proportionnée à la vitesse du navire. Pour moi, dès que j’ai une minute, je ne me lasse pas d’aller me coucher à plat ventre sur le gaillard, la tête en dehors, à côté du beaupré. Je ne peux me rassasier de contempler cet énorme bourrelet d’eau et d’écume que fend l’étrave et que refoulent les joues du bateau. On dirait une monstrueuse charrue à double versoir, entraînée par une force immense, qui ouvre son sillon à travers la plaine sans fin. « Ô ma vieille Élisabeth ! je te demande pardon de t’avoir maudite. La leçon est finie, n’est-ce pas ? Je vois bien que tu te hâtes pour me ramener au port. Ta vieille carcasse m’aura tout de même été une école virilisante. Et je te bénis maintenant ! » — Appelez cela, si vous voulez, des hallucinations ou de