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on mit encore les paillasses et couvertures de ceux qui en avaient, si bien qu’en définitive il ne resta aux hommes que la hauteur nécessaire pour se tenir couchés, et qu’ils n’avaient plus d’autre moyen de gagner leurs gîtes que de s’y traîner, à partir du petit panneau, en rampant sur le ventre. Mais pour excuser les armateurs, il faut ajouter que le prix du retour de Saint-Pierre en France dans ces conditions était généralement d’une quarantaine de francs.


Tout est à bord, marchandise morte et marchandise vivante ; mais voici une brume intense et un « calme blanc ». Inutile de partir, puisque le navire ne saurait faire un mètre de route. Cependant on décide de lever les ancres et de se déhaler jusqu’à l’une des deux entrées de la rade. Dans l’après-midi, le baromètre baisse subitement ; un coup de vent d’Est, c’est-à-dire tout à fait contraire pour nous, est annoncé. On mouille trois ancres et on en prépare une quatrième, car il importe absolument de ne pas chasser, quand on n’est qu’à quelques mètres des rochers.

La tempête s’élève à la chute du jour et dure toute la nuit. Je fais le quart de deux à quatre heures du matin : sur rade il n’y a que le capitaine et le mousse qui en soient exemptés. La consigne était de prévenir si le vent fraîchissait, et si le navire paraissait se rapprocher de la côte, qui se dressait là tout près, à une trentaine de mètres. Ce que j’ai eu d’inquiétude pendant ces deux heures ! et comme je me suis fatigué les