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souvenir, je voudrais vous dire encore quelques mots des impressions que j’y ai éprouvées la nuit, lorsque je faisais le quart ou lorsque je couchais dans la chaloupe.

Coucher dans la chaloupe, cela n’est pas ordinaire, et n’arrive guère qu’en seconde pêche, quand on est tombé sur un fond d’abondants coquillages, dont la morue se nourrit volontiers, mais qui volontiers, eux aussi, se nourrissent de la morue prise aux hameçons. En ce cas, si les lignes restent plus de trois ou quatre heures sur le fond, on est à peu près certain de ne ramener que des squelettes : n’ont échappé à l’action de ces myriades de suceurs que les morues qui ont eu la bonne idée de se prendre à la dernière minute, les moins nombreuses justement. Pour obvier à cet inconvénient, on élonge tardivement et quand on est au bout du tentis, au lieu de revenir à bord comme d’ordinaire, on met à l’ancre et on se couche habillé dans la voilure de la chaloupe. En fait de précautions, on a pris soin d’allumer une lanterne de fer blanc, rouillée, on le pense bien, comme tout fer exposé aux effluves de la mer, et à vitres de corne à peine translucides. Espérons que les navires qui sillonnent le Banc apercevront ce triste ver luisant et daigneront dévier de quelques mètres, afin de ne pas couler la malheureuse coquille. Espérons aussi que le baromètre n’aura pas trompé le capitaine et que l’expédition des embarcations reposait sur une certitude de beau temps bien fondée. Vraiment il ne serait pas gai d’être pris par un coup de vent en pleine nuit