Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/63

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 59 —

tandis que la première pêche en avait rapporté 14,000 en cinquante jours environ. De pareilles campagnes pour un navire de deux à trois cents tonneaux payent à peu près les frais d’armement : ce qui signifie qu’au retour les hommes — qui naviguent tous à la part — peuvent s’attendre à ne pas toucher grand’chose. Des avances reçues lors du départ — et qui s’élevaient à quatre cents francs pour les matelots, à deux cents pour les novices, et à cent pour le mousse — les familles n’ont touché que le surplus des frais d’équipement. Pour plus d’une, ce surplus n’a guère suffi qu’à payer les dettes de l’hiver précédent. Rentrer les mains vides, dans la morte saison du travail, près d’une femme et de petits qui ne sont pas moins impatients du pain que votre retour représente pour eux que de vos caresses d’époux ou de père, cela n’est pas gai, n’est-ce pas ? Et cela vous explique aussi beaucoup de ces duretés de la vie du Banc dont le simple récit vient peut-être de vous faire crier les nerfs. On n’est pas venu là pour s’apitoyer les uns sur les autres. Coûte que coûte, il faut profiter des jours où la morue donne, charger le navire si possible, afin de rapporter trois ou quatre cents francs aux siens ; sinon la joie du retour sera singulièrement affaiblie par la perspective d’un hiver sans pain : ce sera misère sur misère.


Avant de quitter ce Grand Banc, lieu de souffrances intenses, mais dont il m’est quand même doux de me