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très courtes : longues, parce que je m’ennuyai beaucoup ; courtes, parce que je n’en ai gardé qu’un souvenir très vague. C’est comme si la brume s’était abattue aussi sur ma mémoire. Que peut-on bien se rappeler d’une période où chaque lendemain ressemble à la veille, et où le regard ne s’est guère étendu au delà de cinquante mètres ? La vue est un des sens qui enrichissent le plus l’expérience, et contribue beaucoup à déterminer notre notion du temps. — J’essayai de laver quelques vêtements, mais quand il fut question de les faire sécher, je ne réussis qu’à les voir se recouvrir d’une légère couche de mousse verdâtre. Il fallut, comme tout le monde, me résoudre à rester dans des habits mouillés. C’est particulièrement à cette humidité fréquente, et de si longue durée souvent, que les pêcheurs du Grand Banc sont redevables de l’usage à peu près exclusif de vêtements de laine. La laine mouillée vous tient encore chaud. — Par exemple, elle ne vous préserve pas de la crampe musculaire, compagne inséparable, pour l’homme, d’une vie trop aquatique. Ah ! ces maudites crampes, ce qu’elles devront excuser de jurons et de blasphèmes, de la part des gens du Banc ! C’est qu’il y a des moments où il devient impossible de plier une jambe pour mettre un bas, pour enfiler un pantalon ou une botte ! Alors ce sont des grimaces et des contorsions, très comiques parfois : dans ce métier, les plus belles occasions de rire se tirent du ridicule de ceux qui ne savent pas supporter la douleur.