Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/47

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 43 —

Ce n’est qu’au retour d’un travail que l’on voulait quand même finir qu’on peut être conduit à cette voltige forcée. À mer également démontée, l’embarquement du navire dans la chaloupe est plus difficile que celui de la chaloupe dans le navire. Oh ! ces sauts dans la chaloupe, ils me donnent encore la chair de poule ! Imaginez que j’ai fait ma deuxième campagne, celle où j’embarquais, avec des bottes trop courtes. Quand il m’arrivait d’hésiter une demi-seconde au moment de m’élancer, et que, par suite de cette hésitation, je me trouvais tomber de trop haut dans la chaloupe descendue déjà loin, c’était comme si on m’avait fait rentrer les doigts de pied dans les pieds. Le plus souvent, je m’affaissais sur les genoux. La peur de cette souffrance me rendit extrêmement maladroit.


L’ensemble de notre première pêche fut assez peu fertile en incidents. Nous changeâmes plusieurs fois de mouillage, sans réussir à tomber sur de riches fonds de pêche. Le capitaine finit par se décider à quitter le sud du Grand Banc, où il avait d’abord cherché fortune, pour aller tout au nord. L’ancre fut jetée en un endroit où nous demeurâmes jusqu’à la fin, c’est-à-dire aux premiers jours de juin. La monotonie de notre existence n’eut d’égale que la persistance d’une brume épaisse et humide qui dura plus de trois semaines sans être coupée par une heure de temps clair. Ces trois semaines ont laissé comme un trou dans ma vie et elles me font l’effet d’avoir été à la fois très longues et