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longe un des côtés de la chaloupe. Le bord de celle-ci leur atteint à peu près au genou. Dans les belles marées, les lignes, chargées d’hameçons et quelquefois de poissons, — morues, flétans, raies, « maraches » ou petits requins — montent assez vite ; les mains enveloppées de mitaines épaisses passent rapidement l’une devant l’autre, et l’homme qui, tout derrière, love les cordes et range les hameçons dans les mannes ou paniers à deux anses, est souvent obligé de crier : « Souffle », c’est-à-dire : ralentissez, si vous ne voulez pas que je mette vos cordes en broussailles.

Mais lorsque le temps est mauvais, c’est au tour du loveur de rire des haleurs : ceux-ci, arc-boutés contre les bancs transversaux de l’embarcation, se tiennent comme ils peuvent sur cette coque qui danse sur la crête des lames, tirent des deux mains à la fois et de toutes leurs forces. Surtout qu’ils aient soin de tenir bon, que la ligne ne vienne pas à glisser dans leurs mains, car les hameçons sont là qui vous frappent en fouet et vous peuvent déchirer vêtements, mains ou visage. J’ai vu ainsi une joue déchirée dans toute son épaisseur ; il s’en était fallu de quelques millimètres que l’œil ne fût arraché ou crevé du même coup. — Vous vous tromperiez si vous pensiez que la victime d’un accident de ce genre soit dispensée de sa tâche. À ce compte-là, il n’y aurait plus un travailleur au bout de huit jours, Et, après tout, on ne voit pas pourquoi les hommes ne feraient pas ce que journellement ils font faire aux