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l’autre, vers la dunette où se tient le saleur avec un vase plein d’eau-de-vie. Chacun reçoit son « boujaron » (soit six centilitres) à mesure qu’il arrive. C’est le même « boujaron » qui sert pour tous. Il plonge autant de fois dans le grand vase qu’il y a de rations distribuées. Ceux qui boivent les derniers peuvent bien penser qu’à leur eau-de-vie se trouve adjointe une certaine proportion du jus de tabac dont les lèvres du matelot qui se respecte sont le plus souvent imprégnées. Mais on sait bien que le tabac est antiseptique.

Immédiatement tout le monde se reporte vers l’avant. Chaque bordée empoigne son « hale-à-bord », grosse corde qui passe dans une poulie attachée au beaupré et au moyen de laquelle on tire les chaloupes le long du navire pour l’embarquement. Pendant la nuit, et même pendant le jour, dès que la mer n’est plus très calme, on les « file » derrière à une distance d’une centaine de mètres, afin d’éviter les chocs qui ne manqueraient pas de se produire si on les laissait le long de ses flancs.

Aussitôt les chaloupes accostées, six ou sept hommes, avec le maître de pêche, descendent dans chacune d’elles, et s’en vont tirer les lignes. Novice de première année, je n’embarque pas, je ne suis qu’un « chafaudier » : je dois travailler à l’« état » ou échafaud ; j’ai été engagé comme « décolleur » ; ma fonction principale consiste à enlever les têtes de morue ; et en attendant qu’on en rapporte, je reste à bord avec l’autre novice, le saleur, le second, le mousse et le capitaine. Le capitaine dort