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intéressante par des fonds de quarante à soixante-dix brasses, — soit environ soixante à cent mètres. — Il en glisse, des mailles de la lourde chaîne, avec un bruit de tonnerre, sur le guindeau et à travers les écubiers ! et il fait bon de se tenir en dehors de la zone où les secousses de cette même chaîne pourraient vous atteindre. Mais c’est l’affaire de quelques secondes. Aussitôt mouillés, on débarque les deux chaloupes. Quatre ou cinq hommes descendent dans chacune pour aller « élonger » les lignes dans les directions de tribord et de bâbord et le reste demeure pour serrer les voiles. Au bout de deux heures, les uns et les autres ont fini leur tâche : on soupe, et tout le monde va se coucher, sauf l’homme du quart, unique désormais, qui en réveillera un autre deux heures après, et ainsi de suite jusqu’au matin.

La perspective de rester ainsi à l’ancre des semaines et des semaines sous ce ciel gris et terne, à deux cents lieues de terre, ne me sourit guère. Mais ce qui se passe est nouveau pour moi ; ma curiosité trouve pâture, et il paraît que j’aurai beaucoup à faire le lendemain. Je m’endors donc sans être trop triste.


Le réveil a lieu, comme toujours désormais jusqu’à la fin de la pêche, dès la toute première pointe du jour. On se lève d’assez bonne humeur ; les caractères ne sont pas encore aigris ; les mains sont intactes ; mais bientôt il n’en sera plus de même, à ce qu’on dit. On entend retentir l’appel « à la goutte », et chacun court l’un derrière