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LA MÊLÉE

l’étroit monoplace, la main droite au gouvernail.

Son esprit demeurait agile, mais travaillait de façon inattendue, comme s’il eût été enrichi par de mystérieux apports nouveaux.

L’avion, pointé en direction du Refuge, entra dans un fort courant transversal et fut légèrement déporté vers le nord. Aussitôt, un frémissement douloureux parcourut les doigts du pilote ; il inclina vers la droite… Son mouvement avait eu la rapidité d’un réflexe. La douleur cessa et Harrisson eut la certitude de diriger son avion plus sûrement qu’il n’eût pu le faire à vue.

De la main gauche, qui demeurait libre, il chercha un des hublots d’avant. Par l’étroite ouverture, ses doigts tâtonnèrent dans le vide. Il ne sentit point la fraîcheur du vent sur sa peau, mais, au contraire, une légère sensation de brûlure qui l’eût bien étonné une heure plus tôt, et qui lui semblait à présent toute naturelle.

Ses doigts s’écartèrent, s’orientèrent lentement sans intervention de sa volonté. Et, peu à peu, la nuit où il était plongé se peupla d’apparences fantastiques.

Ce qu’il distinguait au-dessous de lui ne rappelait en rien les formes banales du monde. Nulles lueurs ordinaires ne délimitaient les contours. Et, cependant, ce n’était pas le chaos. Les sensations nouvelles, instantanément élaborées, lui procuraient des certitudes étranges qui ne concernaient ni l’espace ni le temps humainement concevables, mais qui, derrière de mouvantes illusions, s’appliquaient à une mystérieuse et formidable entité.

Sa pensée bouillonnait, se dilatait à l’infini. Il souffrait confusément ; il avait l’impression qu’il était au cœur douloureux du monde et que, de