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LES HOMMES FRÉNÉTIQUES

genoux et sur les coudes ; des aveugles, les orbites à demi vidées, les muscles du visage à vif, couraient de tous côtés, les mains en avant, offrant à la fraîcheur de l’air leurs affreuses brûlures. Tous les blessés criaient à la trahison.

Sylvia s’était jetée parmi les aveugles, fouettant de la voix leurs colères. Et, bientôt, groupés derrière elle, ils avaient pris la direction du Refuge…

En tête de la colonne, Sylvia marchait, la main droite levée, les yeux pleins de flammes. Trois aveugles tenaient les pans flottants de sa tunique : les autres suivaient en titubant. Ses appels claquaient ; elle infusait à ses misérables compagnons toute sa haine.

— Lâche qui ne m’accompagne pas !… Harrisson vous a trahis, comme il m’a trahie, comme il a trahi tous les hommes ! Qu’il meure dans les tortures ! Suivez-moi ! Nous écraserons la bête, nous brûlerons la tanière !

Elle s’exaltait de minute en minute, approchait peu à peu de la folie véritable. Les aveugles se pressaient dans ce sillage de violence. Les hurlements de fureur dominaient les plaintes, les cris de désespoir, les éclats de rire des intoxiqués et des délirants.

— Malédiction sur Harrisson !… Qu’il meure !… Qu’il sente nos genoux sur sa poitrine !… nos ongles dans sa chair, dans ses yeux !…

Ils arrivèrent au Refuge. Le vieux Salem parut au seuil de la maison. Il dit, fort effrayé :

— Retirez-vous ! Celui que vous cherchez n’est pas ici.

Une bordée de cris le souffleta.

— Mort à Harrisson et aux siens !… Vengeance !…

Le vieillard voulut reculer, mais il n’en eut pas