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Trop pauvre pour s’acheter une blouse cirée et des guêtres, il se mettait sur le dos un sac en toile grossière qui était bien vite mouillée et il se faisait de grandes bottes en paille ; ces bottes lui protégeaient assez bien les jambes, mais elles l’alourdissaient et il était obligé de les ôter pour charger sur la charrette les fagots de choux — qu’il faisait très gros, pour gagner du temps.

Aux jours de presse, il avait pour l’aider le nouveau valet, un garçon de seize ans, fluet et de chétive mine, qu’on appelait Fourchette à cause de ses jambes trop longues et trop minces. Fourchette était plein de bonne volonté, mais il ne fallait pas compter sur lui pour charger, car le moindre fagot l’acculait dans la raize. Aussi, le samedi, comme il fallait du fourrage pour deux jours, Chauvin envoyait un de ses gars donner un coup de main au valet.

Par chance, le mois de décembre fut froid, mais sec. Le mauvais temps commença pour les pauvres effeuilleurs la veille de Noël. Ce matin-là, Séverin, en arrivant dans le grand champ, dit à Fourchette :

— Hé ! hé ! mon vieux ! il y a des chiens blancs ; gare aux doigts !

Il y avait en effet une lourde gelée blanche ; les petites feuilles dures demeurées aux ronces scintillaient et les herbes de la cheintre craquaient sous les pieds. À l’orient, un soleil rouge et très large sortait de limbes irréels, de vapeurs trop roses et commençait à monter dans la brume impondérable du ciel pâle. Une ligne noire se détacha de l’horizon ; des corbeaux vinrent, lourds, bruyants, offensant la pureté des