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avait connu les deux fils au collège où leur cancrerie jamais égalée avait fini par toucher les professeurs. Revenus au pays, leur temps d’études terminé, ils avaient chassé et bu, le plus souvent seuls, car ils avaient trop de champs au soleil pour trinquer avec des fils de fermiers. Même ils ne s’étaient plus souvenus du petit Chauvin qui travaillait pour vivre ; aussi celui-ci les arrangeait-il de belle façon chaque fois qu’il en trouvait l’occasion.

En les reconnaissant dans cette belle voiture, il songea rapidement :

— Saluerai-je ? Ils vont au Pâtis, sans doute ; si je suis insolent, cela retombera sur mon pauvre oncle… d’autre part, ce sont de simples animaux.

Mais le cheval, venant à longues foulées, fut sur Lucien avant qu’il eût rien décidé. Il aperçut, du même coup d’œil, les jambes sèches du demi-sang, le cuivre des harnais, les fusils, les chiens et trois faces poupines sur des corps boudinés dans des costumes de chasse.

L’aîné des fils, qui conduisait, cria :

— Tiens ! Chauvin, le commis ; bonjour, commis !

Lucien leva machinalement la main pour rendre le salut, mais au même instant, l’autre — moitié bravade cavalière, moitié désir naïf de bruit — enveloppa le cheval d’un large coup de fouet. La lanière de cuir siffla devant Lucien qui eut un sursaut de bête ombrageuse. Trois rires partirent de la voiture, pendant que le cheval prenait le galop et que, par derrière, le socialisme du commis se faisait terriblement agressif sous l’appoint de l’amour-propre blessé.