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Hélas ! oui, Séverin comprenait ! Tous ses beaux projets de l’après-midi, combien de valets les avaient caressés pendant leur jeune temps ! Combien de vaillants avaient espéré, et combien avaient été vaincus, comme avait été vaincu ce Maufret lui-même, dans l’implacable lutte !

À la dérobée, il regarda le vieil homme noueux qui commençait à fléchir. Dans sa vie déjà longue, Maufret avait travaillé pour les autres comme dix bêtes de somme ; il n’avait jamais eu un sou ; il ne s’était jamais amusé ; tous ses enfants avaient mendié ou mendieraient.

Séverin pensa : dans vingt-cinq ans, je serai comme lui. Puis il dit d’une voix découragée :

— Toujours la misère, donc !

— Oh ! la misère ! pour ça, bien sûr ! on a toujours de la misère ! répondit Maufret avec une accablante assurance.

Le vent fraîchissait. L’ombre, à pas de velours, était venue surprendre les champs. Il ne montait plus que des bruits atténués ; les voix plus rares sonnaient étrangement devant les portes, et les petits se rapprochaient des seuils.

Soudain, une rainette lança sa note grêle, puis deux chantèrent, puis trois, puis dix, puis mille. Mille voix graves et cristallines célébrèrent la nuit sereine ; on n’eût pu dire si elles étaient proches ou lointaines, inquiètes ou satisfaites ; elles venaient de partout, elles s’étalaient sur les champs apaisés ; elles emplissaient d’une clameur souveraine tout le vide entre les choses ; un hymne monotone de bêtes mystérieuses